samedi 29 mars 2014

La vipère de Lillian Hellman

Lillian Hellman (1905 -1984) nous entraîne avec cette pièce au sein d'une famille en état de décomposition avancée. Les dents bien aiguisées une femme, prénommée Régina et ses deux frères sont sur le point de signer avec un industriel un accord  qui accroîtrerais considérablement leur fortune.  Ils ont besoin pour ce faire que le mari de Regina investisse de l'argent. Mais cet homme qui souffre d'une affection cardiaque est, depuis quelques mois en traitement dans un hôpital. L'épouse s'emploie à le faire revenir au foyer. Seules dans cet univers d'affairisme féroce, la fille des maîtres de maison et Birdy, la femme de l'un des frères, ont gardé intacte leur humanité. Bien souvent pompette, cette dernière, maltraitée par son conjoint, n' a de cesse de ruminer son douillet passé.

Thomas Ostermeyer donne une fois de plus la mesure de son savoir faire. S'il mène sa troupe d'une main sûre, il laisse aussi à chacun des acteurs la liberté de donner chair à son personnage. Les frères et leur soeur qui cherchent constamment à se damer le pion rappellent les canailles distinguées qui peuplent les films de Fassbinder. Le metteur en scène a eu l'excellente idée de transposer le drame imaginé par l'écrivain engagé qu'était Lillian Helman dans l'Allemagne d'aujourd'hui. Ce qui n'empêche Régina, dont les transports de haine atteignent des degrés ahurissants, d'avoir des allures d'héroïne hitchcockienne. 

Si l'on peut déplorer que Ostermeyer cède à quelques habitudes trop prévisibles - comme de faire à de nombreuses reprises tourner le plateau - et d'avoir porté son choix sur une pièce disons moyennes, on ne peut que reconnaître que son spectacle, joué à la perfection,  nous tient de bout en bout en haleine.

Jusqu'au 6 avril les Gémeaux 92 Sceaux tel 01 46 60 05 64

mercredi 26 mars 2014

Phèdre de Jean Racine

Mise en confiance par  OEnone, sa nourrice, Phèdre lui fait de sulfureuses révélations : elle aime Hippolyte, le fils de Thésée, son mari. Cachant la passion qu'elle éprouve pour Phèdre, la confidente lui donne des conseils qu'elle aurait été avisée de ne pas suivre. De son côté Hippolyte voue à Aricie, fille et soeur des ennemis jurés de son père, une passion inextinguible. Ces amours éperdus seront tous funestes.

Il n'est pas d'écrivains qui sache mieux que Racine  trouvé les mots dictés par le vertige amoureux. Ces mots, Cécile Garcia Fogel (Phèdre) et Nada Strancar (OEnone) s'en emparent avec délice. Christophe Rauck, étonnement à son  affaire dans le registre tragique, a avec Nada Strancar (qui à la fin des années 70 incarna Phèdre sous la houlette d'Antoine Vitez), une carte de choix dans sa manche. Voix charbonneuse, silhouette que la détresse fait vaciller et port de reine  (qui évoque celui de Barbara dont on entend le timbre  chavirant), Cécile Garcia Fogel semble avoir trouvé avec le rôle de la fille de Minos et de Parsiphaë l'accomplissement de ses désirs. Leurs partenaires en rien  ne déméritent. Camille Gobi qui compose une Aricie toute de douceur et  de discernement  semble en particulier apte à avoir de beaux jours devant elle. Le seul bémol qu'inspire ce spectacle mené de main de maître est que Thésée accoutré à l'excès évoque un peu trop l'héroic fantaisie...

Alors que les tragédies du grand  siècle ne nous laissent souvent qu'admiratif de la langue de leur auteur, le spectateur se sent ici concerné. C'est dire s'il faut s'y précipiter.

Jusqu'au 6 avril Théâtre Gérard Philipe tel 01 48 13 70 00

jeudi 20 mars 2014

A portée de crachat de Taher Najib

Pas commode quand on est muni d'un  passeport israélien et né au sein d'une famille palestinienne de se pointer à l'aéroport Charles de Gaule afin de prendre un avion pour Tel Aviv.  C'est ce qui est, à l'évidence, arrivé à Taher Najib, metteur en scène né dans un village arabe de Galilée et devenu l'un des metteurs en scène et acteurs les plus apprécié de l'Etat hebreux. Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre ses activités en Cisjordanie. A portée de crachat, sa première pièce, est un monologue au cours duquel l'interprète  s'adresse a plusieurs reprises au public. 
Plutôt que de partir en vrille quand on refuse qu'il embarque, le jeune comédien repart avec un large sourire pour Paris où il retrouve sa belle. Lorsqu'il retente le lendemain (un 11 septembre!)  l'aventure, son parcours est à nouveau semé d'embûches ou plutôt de longues attentes. Mais l'indétermination de son sort ne l'inquiète guère. Il réclame des boissons à ceux qui le font languir et les obtient. Pas question d'apparaître à ceux qui l'enquiquinent et à ses propres yeux comme un paria.
Judicieusement dirigé par Laurent Fréchuret, Mounir Margoum endosse avec un fol entrain ce rôle d'un gars qui a l'art de dédramatiser les situations les plus tendues. On ne peut plus revigorant en ces temps d'une actualité désespérante.

Jusqu'au 12 avril Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21
 15 - 17 avril TAPS Strasbourg
22 et 23 avril Théâtre de Villefranche, Villefranche-sur-Saône
25 avril TEC Saint-Maurice-l'Exil
6 mai L'Atelier à spectacles, Vernouillet  

samedi 15 mars 2014

Le fantôme de Benjamin Fondane

On ne saurait trop approuver l'acteur et metteur en scène Jacques Kraemer d'avoir sorti de l'oubli Benjamin Fondane qui fut tout à la fois poète, essayiste, réalisateur de films expérimentaux critique littéraire et polémiste. Né en 1998 au sein d' une famille juive échouée en Roumanie, il rejoignit Paris où il adhéra au mouvent surréaliste. Esprit on ne peut moins dogmatique, il se lia aussi à des penseurs qui encouragèrent ses multiples talents.
La découverte de Rimbaud et de Baudelaire (dont Jacques Kraemer fait résonner le génie) lui permirent  de céder à ses propres inspirations. On reconnaît les chefs d'oeuvre à ce qu'ils arrivent tôt ou tard à nous aller droit au coeur. Ce qui est le cas pour les écrits de Fondane lequel apparaît aujourd'hui comme un auteur discrètement majeur.
L'obsession du désastre qui jamais  ne le quitta prit des proportions gigantesques lorsque la nuit tomba sur l'Europe. Nombre de ses élégies évoquent les temps des pogroms qui, sous les tsars, jetaient sur les routes vieillards et enfants juifs. C'était à présent à à ceux qui avaient trouvé refuge  dans l'Hexagone qu'était nié le droit à la dignité humaine. Fondane fut arrêté en 1944 par la police française. Puis envoyé à Auschwitz d'où il écrivit à sa femme une lettre qui se voulait rassurante, apaisée. Ce fut là son dernier commerce avec le monde.
Jacques Kraemer nous offre une  représentation durant laquelle le temps semble suspendu
Jusqu'au 30 mars Théâtre de la Vieille Grille tel 01 47 07 22 11

jeudi 13 mars 2014

L'île des esclaves de Marivaux

Victimes d'un naufrage, Iphicrate (Stephane Varupenne) et Euphrosine (Catherine Sauval) accompagnés de leurs esclaves Arlequin (Jérémy Lopez) et Cléanthis (Jennifer Decker) trouvent refuge sur une île où les rapports de classe sont inversés. Surgi Trivelin (Nazim Boudjenah), le maître des lieux et habile manoeuvrier qui leur ordonne d'échanger leurs statuts, leurs noms et leurs habits. N'étant plus sous la coupe de son  maître, Arlequin se gausse de lui et lui rappelle combien souvent il le roua de coups. Véritable boule de ressentiments, Cléanthis s'exprime plus rondement encore. Alors que Iphicrate semble accepter son sort, Euphrosine ne cache pas qu'elle l'a mauvaise.

Appartenant désormais à la race des seigneurs, les deux affranchis ont les chevilles qui enflent. Ils ne tardent pas à singer l'allure altière de leurs anciens maîtres. Mais reconnaissent rapidement que les voilà "aussi bouffons que nos patrons". Ils savent par ailleurs que Trivelin n'apprécierait pas qu'ils abusent de leur nouvelles prérogatives. Dans cette pièce en un acte à l'écriture ciselée, Marivaux fait valoir qu'il n'y a pas de méchants nantis d'une part et d'inoffensifs serviteurs de l'autre. Chacun est capable de se conduire en despote. Esprit d'une exceptionnelle subtilité, l'écrivain fait découvrir les fêlures insoupçonnables de tous les personnages de sa pièce.

Benjamin Jungers, jeune pensionnaire du Français remarqué dans de nombreux rôles, signe ici sa première mise en scène. Sa grande sureté dans la direction des acteurs impressionne. La Comédie Française s'est  montrée ces dernières saisons chiche en bonnes surprises. En voilà une. Faite pour séduire petits et grands.
Jusqu'au 13 avril Studio-Théâtre tel 01 44 58 98 58

mercredi 5 mars 2014

Médée Poème enragé de Jean-René Lemoine

Avec cette  témérité qui lui a permis il y a  deux ans de jouer seul en scène "Face à la mer" où il racontait une tragédie intime  l'acteur, auteur et metteur en scène Jean-René Lemoine  se glisse dans la peau et les nerfs de Médée. Laquelle bat le rappel de ses souvenirs. Lui revient en mémoire la relation charnelle qu'elle eut avec son jeune frère puis la passion trop enflammée qu'elle éprouva pour Jason avec qui elle fuia sa Colchide natale après avoir  tué et dépècé son frère  afin que, trop abattu, son père ne les  pourchasse pas.
Médée devint l'épouse de Jason à qui elle donna deux fils. Après quelques sanglantes péripéties la famille trouva refuge à Corinthe. L'atmosphère y était éruptive. Avec des mots d'une d'une crudité toute contemporaine Médée relate la vie sexuelle débridée que Jason poussa Médée à mener. Lorsque après avoir encaissé toutes les humiliations, puis  été mise au rencart, elle apprend que Jason qui l'a répudiée  va épouser la fille de roi Créon âgée quinze ans, elle rumine de se venger. Ce qu'elle fera de la plus démoniaque façon.
Revenue sur les lieux de son enfance, elle accompagne l'agonie de son père. qui n'a pas un regard pour elle.  Les fantômes de Jason et de ses enfants surgissent au loin l'invitant peut être à les rejoindre.
Ce qu'on est vraiment, on ne le découvre qu'au moment de n'être plus. Les dernières paroles de Médée sont de la barbare qui exprime son inadéquation profonde au monde qui l'entoure et a décidé de retrouver sa peau foncée, de ne plus cacher ses scarifications, de ne plus se maquiller à la grecque... Le texte d'une richesse de palettes stupéfiante est celle d'un écrivain accompli
Ajoutons que le spectacle est bercé par la musique et les sons conçus par Romain Kronenberg et que le costume dont le haut est féminin le bas masculin que porte Jean-René Lemoine est né de l'imagination de Bouchra Jarrar. Une telle associations de talents  donne un spectacle dont on sort envoûté.

Jusqu'au 23 mars MC93 Bobigny tel O1 41 60 72 72