lundi 28 décembre 2015

La Belle au Bois Dormant par la compagnie Jean-Michel Rabeux

Jean-Michel Rabeux a le chic pour adapter les contes de Charles Perrault en mettant en valeur les événements les plus piquants et en en gommant la bienséance. Ce qu'il fit, il a peu, avec Barbe Bleue et qu'il refait ici avec des moyens une fois encore mesurés et une imagination exubérante. Si les fées sont, comme dans le conte, bonnes filles ou méchantes créatures, et que la princesse se trouve au départ plongée dans un sommeil de cent ans, le prince charmant est, lui, un peu perché. La reine, mère du prince, est, quant à elle, une sacrée terreur. Qu'elle ait la voix et l'oeil mauvais ne serait qu'un moindre mal. Mais cette ogresse ne songe qu'à dévorer sa belle fille et à prendre son fils pour époux afin de pouvoir donner naissance à de petits monstres.Au grand bonheur des jeunes spectateurs les effets comiques dont beaucoup touchent au fantastique sont innombrables et les gros mots, ceux qu'ils affectionnent, fusent. L'interprétation pétaradante de Morgane Arbez, Jacinthe Cappello, Corinne Cicolari et Renaud Truffault vêtus avec un charmant grain de fantaisie par Sophie Hampe et Jean-Michel Rabeux achèvent de faire de ce spectacle pour petits et moins petits enfants un moment de ravissement. Du 5 au 9 janv Théâtre de Nîmes tel 04 66 36 65 10 Du 14 au 16 janv Théâtre de Bretigny Dedans/dehors tel 01 60 85 20 85 Du 14 au 16 fev Le figuier blanc 01 34 23 58 00 Du 15 au 17 mars La Rose des vents Villeneuve d'Ascq tel 03 20 61 96 96

mercredi 23 décembre 2015

En attendant Godot de Samuel Beckett

Ecrite par Beckett en 1948, c'est-à dire à une époque revenue du pire,En attendant Godot a pour personnages centraux Estragon et Vladimir, deux types qui n'en mènent pas large, deux survivants. S'ils évoquent à la fois Charlot, par leurs allures de clochard et Laurel et Hardy par leur absence parfois cocasse d'affinités avec le réel, c'est que le cinéma américain dominé par des acteurs délicieusement burlesques était revenu en force occuper les écrans français. Plantés à proximité d'un arbre isolé dans un paysage désertique, les deux compères attendent le dénommé Godot autrement dit le mirage d'un avenir moins désespérant. Viennent à passer l'exubérant Pozzo que mène à coups de fouet Lucky, son esclave. Le nazisme n'est pas mort puisqu'il est des humains qui peuvent être réduits à l'état d'animaux de peine. Ses scrupules rapidement levés, Estragon va dévorer la pitance de l'homme-cheval. Le jour suivant cet épisode s'est effacé de sa mémoire. Seules des bribes du passé lointain refont parfois surface. Véritable couple de clowns, les deux hommes se chamaillent, lancent des phrases extravagantes, ont l'esprit potache, se reprochent, comme peuvent le faire des enfants, leurs odeurs, ne peuvent se passer l'un de l'autre, comptent en finir ensemble. Metteur en scène considérable, Jean-Pierre Vincent rend à la pièce sa force intemporelle.Comme il tire de plus de ses comédiens (Abbes Zahmani, Charlie Nelson, Alain Rimoux et Frederic Leidgens) un parti particulièrement savoureux et que le superbe décor d'Alain Chambas est éclairé de façon poignante par Alain Poisson, on aurait mauvaise grâce à cacher sa joie. Jusqu'au 27 décembre Théâtre Des Bouffes du Nord. Tel 01 46 07 34 50

mercredi 9 décembre 2015

Roméo et Juliette de William Shakespeare

Force est de le reconnaître : les mises en scène de Roméo et Juliette réalisées en France ces dernières années n'ont guère marquées les mémoires. Il en va tout autrement de celle que propose Eric Ruf. Plutôt qu'à Vérone (néanmoins citée) le drame se joue dans le sud de la péninsule, région imprégnée de traditions archaïques où, comme l'écrit Ruf dans le dossier de presse, la chaleur échauffe les esprits. Dès l'instant de leur rencontre, Roméo qui jusqu'alors se languissait d'amour à tout bout de champs et Juliette, jeune fille d'un tempérament qu'elle croyait réservé, vont être transportés par les mots qui s'échappent de leurs lèvres. Le besoin d'en découdre de leurs cousins respectifs va faire couler le sang. Pas question pourtant pour les deux quasi enfants de renoncer l'un à l'autre. Et la tragédie de se tisser, ponctuée de refrains mélodieux. Et marquée de temps forts tels la scène du balcon aussi inattendue que gracieuse, les monologues de Juliette (Suliane Brahim d'une grâce infinie), les accès de colère de Capulet, le père de Juliette, qui oubliant ses bonnes manières balance à sa fille des injures d'une crudité jubilatoire (Didier Sandre à qui l'occasion est offerte de faire montre de son effarant savoir faire). Claude Mathieu impose, quant à elle, une nourrice haute en couleur, tour à tour mère de substitution et complice dénuée de lucidité tandis que Serge Bagdassarian compose avec son habituelle truculence un Frère Laurent dépassé par les événements. Contribuent enfin à ce que le spectacle laisse une trace mémorable les robes d'une allure folle ou ravageuse taillées par Christian Lacroix et les lumières conçues par Bernard Couderc qui soulignent l'étroit passage de la nuit au jour et de l'euphorie au chagrin. Jusqu'au 30 mai Comédie-Française-Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

dimanche 6 décembre 2015

Les rustres de Carlo Goldoni

Belle idée que d'avoir proposé à Jean-Louis Benoit de mettre en scène Les Rustres de Goldoni dont l'alliage de comédie explosive et de tableau de moeurs est, on ne peut plus, dans ses cordes. La pièce se déroule en grande partie dans la maison de Lunardo (Christian Hecq à son meilleur), un barbon vénitien à qui Margarita, sa deuxième épouse (Coraly Zahonero) et Lucetta (Rebecca Marder) la fille née de son premier mariage doivent obéir au doigt et à l'oeil. Véritable tyran domestique, Lunardo pique à tout bout de champs des colères monumentales et, sans doute persuadé que le diable gît dans les détails, ne supporte pas que les femmes portent la moindre parure. Il a pour l'heure décidé de marier sa fille qui n'a jamais mis les pieds hors de la maison à Fillipetto (Christophe Montenez), le fils de Maurizio (Nicolas Lormeau), un négociant de ses amis, personnage comme lui bardé de préjugés et père despotique. Sont conviés au dîner, où les deux promis vont s'apercevoir pour la première fois et aussitôt se voir mariés, Simon (Bruno Raffaelli) et Canciano (Gérard Giroudon) et leurs épouses.Celles-ci, Marina (Céline Samie) et Félicia (Clotide de Bayser) , fomentent un plan pour faire se rencontrer les deux jeunes gens. Plan qui foire. Les rustres de maris tiennent conciliabule. Est-il préférables de cloitrer ces femmes insubordonnées, de les frapper à coup de gourdins ou de les laisser agir comme bon leur semble. Félicia, qui a la langue agile aura, non sans mal, le dernier mot. Où l'on découvre - grâce à la mise en scène où abondent les chassés-croisés - que Goldoni est l'ancêtre du théâtre de boulevard. Un ancêtre qui prenait fait et cause pour le combat qu'on appellera des siècles plus tard féministe. Qui ne sait où emmener des ados découvrir les charmes du théâtre classique sera bien inspiré de leur faire découvrir ce spectacle joué avec un savoureux entrain par des comédiens vêtus avec goût ou malice par Marie Sartoux. Jusqu'au 10 janvier Vieux Colombier tél 01 44 58 15 15

vendredi 4 décembre 2015

Le méridien d'après Paul Celan

Le moins qu'on puisse dire est que le comédien Nicolas Bouchaud ne craint pas les textes aventureux. Après avoir avec "La loi du marcheur" porté à la scène les réflexions sur le cinéma de Serge Daney puis reconstitué, avec "Un métier idéal" de l'écrivain engagé John Berger, le périple d'un médecin de campagne, il nous entraîne (une fois encore seul en scène mais avec la complicité avisée d'Eric Didry) avec "Le méridien" du poète Paul Celan aux confins du dicible. Lorsqu'il reçu en 1960 le prix Georg-Buchner, le poète juif roumain de langue allemande fit dans la langue de ses parents qui fut aussi celle de leurs bourreaux un discours de réception plus proche du déchaînement pulsionnel que de la péroraison attendue en pareilles circonstances. L'hommage qu'il rend à Buchner est l'occasion de s'interroger sur sa propre pratique. Il commence par évoquer Lucille Desmoulin qui à la fin de "La mort de Danton" crie "Vive le roi"après avoir vu Camille Desmoulin se faire guillotiner. Ces mots qui ne peuvent que la mener à son tour sur l'échafaud n'ont évidement rien d'un signe de ralliement à l'ancien régime mais témoignent de son opposition à un monde où règne l'inhumanité. Restée à l'état de fragment "Lenz" est l'oeuvre de laquelle Celan semble se sentir le plus proche. Atteint de ce qu'on qu'on pourrait appeler une folie langagière, Lenz, comme on dit, s'oublie. Ses mots questionnent plus avant, ce qui est le propre de la poésie. Le comédien ne joue plus mais semble emporté par des forces telluriques. Il faut être un interprète d'une virtuosité phénoménale pour sembler, comme fait Nicolas Bouchaud, n'être plus que dans le vif de l'existence, de l'exaltation et de la douleur. Cette douleur qui l'envahit quand revient inlassablement le souvenir de ce monde sans mots et sans réponses que fut l'Allemagne dont, rappelle Celan, la mort fut un maître. Une amie me dit, avec justesse, à la sortie de la représentation, que si celle-ci se déroulait dans un galerie ou un musée on parlerait d'installation verbale. Une de ces installations qui donne un sentiment d'inquiétante familiarité... Dans le cadre du festival d'automne Jusqu'au 27 décembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

samedi 21 novembre 2015

Madame de Rémi De Vos

Venue d'une campagne reculée, Madame était, à son arrivée à Paris avant la Grande Guerre, une véritable oie blanche. Sa rencontre avec Landru (qui sachant qu'elle n'avait pas le sou ne l'envoya pas de vie à trépas) puis avec un musculeux maquereau lui ouvrirent les mirettes. Elle se retrouva en maison dont elle grimpa vaillamment les échelons. Devenue mère maquerelle, elle dût abandonner le métier, lorsque, en 1946, les maisons closes disparurent du paysage.Le récit florissant de sa vie, Madame le fait en prenant des airs pincés, en coulant des regards entendus et en usant d'une langue gouleyante. Rémi de Vos, à la fois auteur et metteur en scène du spectacle, renoue avec le parler acide d'un Henri Jeanson dont les dialogues firent le succès de films d'avant-guerre tels que Hôtel du Nord de Marcel Carné, Entrée des artistes de Marc Allégret ou Pépé de Moko de Julien Duviver. Rien dans les souvenirs de Madame - qui eût à subir les contorsions dramatiques de l'histoire du XXe siècle - qui ne soit archi-connu. Les trouvailles de langages sont si réjouissantes qu'on est pourtant de bout en bout sous le charme. D'autant que Catherine Jacob, comédienne à la forte présence et à la puissante fibre comique, fait carrément merveille. En redécouvrant ici son jeu à la fois virtuose et irrésistible de drôlerie on ne peut que s'étonner de ne pas la voir plus fréquemment sur scène et à l'écran. l'Oeuvre tel 01 44 53 88 80

vendredi 13 novembre 2015

Ça ira (1) Fin de Louis Création théâtrale de Joël Pommerat

Il est clair dès les premiers instants de ce spectacle, qui relate de manière inédite les débuts de la Révolution française, que Joël Pommerat a modifié son écriture scénique. Ce qui n'a pas changé est l'importance accordée aux mots. Ils furent longtemps aussi feutrés qu'ambigus. Ces dernières années ils jaillissaient plutôt des profondeurs des êtres. Ils sont cette fois assénés par des représentants à l'éloquence torrentielle du Tiers Etat, de la Noblesse ou du Clergé. Ces orateurs se trouvent sur le plateau. Ceux qui les approuvent, les applaudissent ou au contraire les contredissent et les injurient sont répartis sur les côtés de la salle. Les spectateurs deviennent ainsi témoins des événements. On pourrait aller jusqu'à écrire qu'ils en deviennent les contemporains tant la banqueroute dont parle le premier ministre de la période pré-révolutionnaire fait écho à l'atonie économique actuelle. Ce sentiment est conforté par le fait que les comédiens ne sont pas en tenue d'époque mais sont vêtus à la mode d'aujourd'hui. Ce qui est aussi le cas de Louis XVI, le seul à être une figure éminemment reconnaissable. Le voir arrivé dans la salle auréolé de lumière et être l'objet de la vénération de la foule qu'il traverse est un moment où la théâtralité reprend ses droits. Ce qui est aussi le cas de la scène où son hésitante majesté reçoit à Versailles, mais pas de gaieté de coeur, des représentantes du peuple. L'une d'elles se love longtemps sur celui qu'on considérait encore de droit divin donc incapable de mal agir. Le monarque et la reine exceptés, chaque comédien prend en charge de nombreux rôles. Et fait preuve d'une énergie volcanique. Les confrontations idéologiques se font violemment jour. Les propos d'un centriste, qui oscille constamment entre la défense des privilégiés et celle du peuple, et finit par évoquer la responsabilités dans le déchaînement de violences, de hordes d'étrangers sont accueillis par des discours d'une radicalité qui peut, elle aussi, foutre le bourdon. Pommerat a travaillé avec un historien de la Révolution. Et s'en est, dit-il, tenu aux faits. C'est pourquoi sans doute, en ces temps, où la misère étend ses ravages et où le pire semble à nos portes, ce spectacle nous concerne tant. Jusqu'au 29 novembre Nanterre Amandiers Tel 01 46 14 70 00

jeudi 5 novembre 2015

Nobody d'après des textes de Falk Richter. Mis en scène par Cyril Teste

On voit depuis des décennies la publicité détourner des oeuvres d'artistes. Il se passe ici l'inverse, c'est-dire des artistes jouer des codes et cadrages des insignifiantes séries que la télévision française diffuse avec une fâcheuse constance. Il apparaît très vite que le propos que tient Cyril Teste en mettant en scène, avec les jeunes membres du collectif MxM, des textes de l'auteur dramatique allemand Falk Richter n'a rien de rassurant. Le personnage central est consultant en restructuration d'entreprise. Ses collègues semblent avoir un moral d'acier, ne parlent dans un langue incrustée de mots anglais que de performances et de clients. Le plateau est envahi par ces hommes et femmes qui avec fébrilité ou un calme inquiétant vaquent à leurs occupations et tiennent des réunions au cours desquelles ils échangent informations, éloges bidons et vacheries tandis qu'un caméraman tourne autour d'eux saisissant au plus prés leur gestes et paroles. Une vidéo qui surmonte la scène permet de surprendre, tout au long de la représentation, les failles et secrets, à savoir l'humanité, de ces brasseurs d'affaires. Chacun d'entre eux est en permanence espionné, évalué. Une fête organisée par quelque manager jamais entrevu est l'occasion de noter ce qu'ils disent et font lorsque l'alcool les empêche de se contrôler. Des réminiscences du passé viennent fréquemment assaillir le consultant dont on suit le cheminement.Il en arrivera, lui aussi, à traiter avec dureté un collègue mis sur la touche. L'univers que dépeint de façon si convaincante et futée Cyril Teste ressemble comme deux gouttes d'eau à celui auquel s'affrontent les générations pour lesquelles le fond de l'air est néo-libéral. Les spectateurs, âgés pour la plupart d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années ne s'y sont pas trompés qui ont fait une ovation à ce spectacle si hostile aux temps impitoyables que nous traversons. Jusqu'au 21 novembre Le Montfort théâtre tel 01 56 08 33 88

mardi 3 novembre 2015

L'Aquarium a 50 ans et toutes ses dents

Pour célébrer dignement les 50 ans de la création de la troupe de l'Aquarium, François Rancillac - actuel directeur du lieu dont les autorités prétendument compétentes ont décidé de ne pas renouveler le contrat - fait jouer par un groupe d'élèves comédiens (en formation à l'ESAD)nombre d'épisodes qui retracent le parcours hasardeux de ce collectif. Nourri par les souvenirs de ceux qui furent de l'aventure (Jacques Nichet, Didier Bezace, Jean-Louis Benoit, Karen Rencurel, Martine Bertrand, Alain Macé, Philippe Marioge, Thierry Bosc, Bernard Faivre, Louis Merino, Joceline Lion Henri Gruvman, Geneviève Yeuillaz ...) le spectacle subjugue. Comme l'ont fait de nombreuses créations de ces garçons et filles qui avaient une vingtaines d'années en 68. Ces productions réalisées avec des moyens financiers dérisoires étaient au début le fruit d'improvisations. Et des actes citoyens. "Marchands de villes" vit, par exemple, le jour pour dénoncer les menées des promoteurs immobiliers qui, soutenus par les banques, rasaient des quartiers de Paris, en chassaient les habitants et construisaient des immeubles pour une population nantie. Il fallut, pour inventer ce théâtre sociologique et politique, où l'humour était fréquemment de la partie, déployer des trésors d'ingéniosité et de patience. Une grande partie du temps était consacrée aux assemblées générales où les décisions étaient prises à main levée. Beaucoup se souviennent des tensions guerrières qui traversaient les réunions. Mais aussi de moments poétiques tel celui où Jean-louis Barrault entrouvrit la porte du bâtiment de la Cartoucherie de Vincennes qui allait devenir l'Aquarium, mais où étaient encore entassés les costumes de sa troupe, et voyant répéter les jeunes membres de la compagnie demanda amusé "on fait du théâtre ici?". Plus tard ce furent des auteurs aussi différents que Flaubert, Bove,Camon, Kafka, Feydeau... qui furent mis en scène par Jacques Nichet, Didier Bezace et Jean-Louis Benoit. Puis chacun entama une trajectoire différente. Maître d'oeuvre accompli, François Racillac a su de facétieuse façon rendre compte de cette fourmillante aventure artistique si représentative de la France des années 70 où l'on conjuguait ses forces et croyait ne pas s'en laisser conter. Quelle joie enfin de découvrir des comédiens en herbe qui, avec une énergie sidérante, jouent, changeant continuellement d'identité, ces aînés qui ont inventé un théâtre en rupture avec les conventions de leur époque. Jusqu'au 8 novembre Théâtre de L'Aquarium. Tel 01 43 74 99 61

lundi 19 octobre 2015

Le retour au désert de Bernard-Marie Koltès

Le désert dont il est question dans le titre de la pièce est le fin fond de la province française où revient Mathilde accompagnée de deux enfants. Elle a quitté l'Algérie qui, en ce début des années 60, est en ébullition. Le climat de la maison familiale qu'elle a rejoint n'est pas non plus des plus guilleret. L'accueil d'Adrien, son frère - qui y vit avec sa deuxième épouse qui bibine du matin au soir et un fils qui rêve d'ailleurs mais n'a pas le droit de franchir la porte du jardin - n'est pas franchement enthousiaste. Jamais à court d'une réflexion vacharde, Mathilde semble décidée à aviver les tensions. La guerre civile ne ravage pas seulement l'Algérie. Elle se déroule aussi dans la demeure familiale où, pour ne pas apaiser les esprits rôde le fantôme de Marie, la première femme d'Adrien, le maître de maison et où surgit sans crier gare un parachutiste noir. Bernard-Marie Koltès écrivit cette pièce pour Jacqueline Maillant qui dut à son extravagant tempérament comique de devenir la reine du théâtre de boulevard. En 1988, elle créa sous la direction de Patrice Chereau le rôle de Mathilde. Comédienne aussi douée pour la farce que pour le tragique, Catherine Hiégel se glisse aujourd'hui avec superbe dans la peau et les nerfs de ce personnage. Elle a trouvé en Didier Bezace un partenaire à sa démesure. Comme le reste de la distribution est à l'avenant, le spectacle mis en scène avec une effarante perspicacité par Arnaud Meunier est de ceux qui ne s'oublient pas. D'autant que la pièce, où alternent dialogues et longs monologues dans lesquels chacun en dit long sur lui-même et sur une société dont le fonctionnement ne peut qu'engendrer de la haine, semble annoncer le triomphe actuel des populismes. On sait combien Koltès tenait à ce qu'un personnage maghrébin ou originaire d'Afrique noire soit joué par un interprète de la même identité. Aujourd'hui signe des temps désolants que nous traversons un metteur en scène qui fut proche de Chéreau confie le rôle d'Othello à un acteur vedette blanc. Il serait honteux de ne pas y trouver à redire. Le spectacle créé à La Comédie de Saint Etienne entame sous peu sa tournée qui le mènera dans un premier temps le 4 nov à la Scène nationale d'Albi, les 9 et 10 nov au Grand R -Scène Nationale de la Roche - sur- Yon et le 13 nov au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine (tel 01 55 53 1O 60).

jeudi 15 octobre 2015

Vu du pont d'Arthur Miller

Docker italo-américain dur à la tâche, Eddie vit à Brooklyn avec Béatrice, sa femme et Catherine, sa nièce qu'il a recueillie lorsqu'elle s'est retrouvée orpheline et dont il est,comme disent les psy, le papa de secours. Un papa en présence de qui elle joue la petite fille et qui la tient sous cloche. Débarquent démunis de papiers des cousins de Sicile. L'un, Marco, veut gagner de l'argent pour nourrir sa famille restée au pays. Rodolpho, son cadet, ne songe, lui, qu'à s'établir en Amérique. Et n'est pas insensible au charme de sa lointaine parente. Ce qu'Eddie voit d'un très mauvais oeil. La blondeur, la tendance à pousser la chansonnette et l'inlassable vitalité du jeune homme font, prétend-il, mauvais genre. Séparer le couple devient une obsession qu'il confie à un homme de loi comme lui d'origine italienne. L'avocat, qui est aussi le narrateur du drame en train de se jouer, n'arrive pas à lui faire entendre raison. A bout de mots, Eddie passera à l'acte. Il est futé, à l'heure où le communautarisme semble gagner sur trop de fronts,de mettre en scène cette pièce autrefois à succès d'Arthur Miller qui l'écrivit en 1956. L'auteur des Sorcières de Salem et de La mort d'un commis voyageur avait l'art d'observer au plus prés des groupes d'émigrés restés,à leur insu, fidèles aux traditions de leurs pères. La loi du livre à l'américaine s'affronte ici à la loi du sang si vivace dans le sud de l'Europe. Plus convaincant qu'il l'a, sans doute, jamais été, Charles Berling interprète un homme à qui la passion fait chanceler son système de valeurs et qu'elle transforme en personnage de tragédie. Dirigée avec discernement le reste de la distribution (Caroline Proust, Alain Fromager, Nicolas Avinée, Laurent Papot et Pauline Chevillier) est à l'unisson. Metteur en scène d'origine belge qui mène une carrière internationale, Ivo van Hove a réalisé un spectacle grand public dont la belle, l'intelligente facture doit beaucoup au scénographe Jan Versweyveld, son collaborateur et surtout complice. Jusqu'au 27 novembre Odéon -Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

mercredi 7 octobre 2015

Richard III de Shakespeare Mise en scène Thomas Jolly

Peut être Thomas Jolly n'avait-il pas le projet de monter Richard III Le succès fou d'Henry VI l'aura sans doute incité à poursuivre dans la même voie. On connaît sa capacité à s'approcher au plus prés des monstres politiques. Ce monument de duplicité qu'est Richard III faisait donc parfaitement l'affaire. Il l'incarne lui même en soulignant les ridicules d'un personnage à qui le désir de puissance fait perdre toute mesure. La mesure n'est d'ailleurs pas la tasse de thé de ce metteur en scène qui ne lésine pas sur les effets visuels et acoustiques. Cette profusion de lumières rutilantes en agace certains mais fait le bonheur d'un public jeune qui découvre combien le théâtre peut être plaisant mais aussi source de réflexions. Contrairement à d'autres metteurs en scène de sa génération qui ne songent qu'à en mettre plein la vue, Thomas Jolly ne se contente pas de trouver une forme alléchante aux pièces auxquelles il choisit de se mesurer. Il tente de dessiner le profil de ces fous qui aujourd'hui comme de tous temps nous gouvernent. Fils disgracieux d'une mère qui l'a toujours rejeté le Richard qu'il interprète carbure à la haine. Haine qu'il cache longtemps sous des airs patelins et qu'il laisse in fine si bien jaillir qu'il terrorise ceux qui l'approchent. Des comédiens dont le jeu outrancier est d'une remarquable homogénéité contribuent largement à rendre ce Richard III intelligemment spectaculaire. Jusqu'au 14 octobre Théâtre National de Bretagne. tel 02 99 31 12 31 A partir de janvier 2016 Théâtre de l'Odéon à Paris

lundi 5 octobre 2015

Les sonnets de Shakespeare.

Qu'elle est heureuse la rencontre de la comédienne chanteuse (de plus en plus accomplie) Norah Krief, du compositeur et pianiste Frédéric Fresson, du batteur Philippe Floris et du bassiste Philippe Thibault qui réalisent un spectacles à partir de sonnets de Shakespeare traduits et adaptés de délectable manière par Pascal Collin! L'aventure soutenue à la création par le metteur en scène Eric Lacascade l'est aujourd'hui par Richard Brunel. Les vers du grand dramaturge et poète ont la grâce de l'intelligence. Ecrits tout au long de son parcours, ils sont - selon qu'il avait le coeur plein d'allant ou sur le carreau - fringants ou marqués par le désenchantement. Tout à son amour pour un homme il écrit "Tu es pour moi l'unique, aucun autre ne peut changer ma soif du pire en désir du meilleur". En un temps moins faste de sa vie il lâche "Pourquoi aimes-tu ce qui te fait si mal? Pourquoi fait-tu ton miel de la mélancolie? " Ses embrouillaminis affectifs ne l'empêchent pas, comme le prouve son théâtre, de dénoncer les injustices sociales. Il se dit "Lassé de voir qu'un homme intègre doit mendier, qu'on s'amuse à cracher sur la sincérité" Des phrase qui résonnent avec force aux oreilles d'aujourd'hui. Bâti autour de Norah Krief dont la présence si vive et chaleureuse comme les sonorités de la voix font merveille, ce spectacle étincelle de charme.'Charme renforcé par l'attrait mélodique des compositions de Frédéric Fresson. Jusqu'au 9 octobre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

samedi 3 octobre 2015

Finir en beauté de Mohamed El Khatib

Curieux qu'en ces années de vaches maigres apparaissent sur les scènes tant de nouveaux talents. Mohamed El Khatib est l'un d'eux. Et pas des moindres. Sachant sa mère sur le départ de la vie, il décide de la filmer. Puis se ravise. La délicatesse est à l'oeuvre dans ce spectacle où face au public il raconte les derniers moments de cette femme âgée de 62 ans. Après avoir lu les notes parsemées d'anecdotes savoureuses qu'il a conservées, il fait lire et entendre sur un écran de télévision (on pense là à la manière pudique qu'a le cinéaste Alain Cavalier d'évoquer ses plus intenses douleurs) les échanges qu'il eût avec sa mère hospitalisée et, il le sait, incurable. Les carnets ont aussi retenus les paroles mauvaises à entendre du personnel médical. Lorsque certains membres de son entourage ou des responsables religieux ont des réflexions disons déplacées - comme cet oncle qui, quelques jours après la mort de la mère et dans les moments qui suivirent son inhumation au Maroc, lui affirme qu'il faudrait à présent que son père reprenne femme - il sait avoir le trait délicieusement incisif. Impensable de ne pas se sentir concerné par ces adieux à un être chéri. C'est pourquoi laissant le public à ses propres chagrins, Mohamed El Khatib s'éloigne sans saluer. Jusqu'au 23 octobre Théâtre de la Cité Internationale (merveilleux lieu de créations sérieusement menacé de fermeture) tel 01 43 13 50 50 Le texte est paru aux "Solitaires intempestifs"

jeudi 1 octobre 2015

Danser à la Lughnasa de Brian Friel. Mise en scène Didier Long

Comme souvent le metteur en scène Didier Long se distingue de ses confrères qui oeuvrent essentiellement dans le théâtre privé par la pertinence de ses choix artistiques. Après avoir monté des pièces d'auteurs aussi estimés que Pinter, Zweig, Schnitzler, Hampton ou Sheppard, il a porté son choix sur "Danser à la Lughnasa" de l'irlandais Brian Friel. Le spectacle s'ouvre sur le monologue d'un homme d'âge qui bat le rappel de ses souvenirs.Particulièrement ceux de l'été 1936 au cours duquel il eût 7 ans. Il vivait alors avec sa mère (Lou De Laâge) et ses quatre tantes (Claire Nebout, Lena Breban, Florence Thomasin et Lola Naymark) dans la maison familiale située à l'extérieur d'un village, alors reculé, du comté de Donnegal. Seul soutient ces femmes célibataires l'attachement, qu'en dépit de leur différence de tempérament, elles ont l'une pour l'autre. Après avoir été durant un quart de siècle prêtre missionnaire dans une léproserie en Ouganda, leur frère (Bruno Wolkowicz) est revenu vivre avec elles. Cet homme qui semble souffrir de dégénérescence mémorielle est considéré par le clergé comme un apostat. Il est vrai qu'il est resté sous le charme des rituels animistes dont il a été témoin. Un autre homme surgit parfois à l'improviste dans les parages. Il s'agit de Gerry (Alexandre Zambeaux), le père du garçonnet, un joli coeur, qui chaque fois invente de toutes pièces des récits qui font croire à sa chérie - et l'aide à se persuader - qu'il est sur le point de faire fortune. Mais comme tous les mâles - y compris le môme devenu adulte - il ne tarde pas à mettre les voiles. La tardive mais inexorable révolution industrielle mettra fin à l'existence de la maisonnée. Un décor d'un dénuement magnifique qui rappelle élégamment l'indigence dans laquelle vivent les membres de la famille et d'entraînantes musiques celtes sur lesquelles les cinq soeurs dansent à n'en plus pouvoir rendent poignante cette évocation d'un monde englouti. Théâtre de l'Atelier tel 01 46 06 49 24

lundi 28 septembre 2015

Pauvreté, richesse, homme et bête de Hans Henny Jahnn. Mise en scène Pascal Kirsch

Au début de la Grande Guerre, Hans Henny Jahnn (1894-1959) fuit l'Allemagne où il ne reviendra qu'en 1918 et s'établit dans une contrée reculée de Norvège. Cette région de montagnes dont les habitants ne se croisent qu'en de rares occasions lui inspirera l'écriture de Pauvreté, richesse, homme et bête. Manao Vinje qui exploite une ferme isolée veut prendre femme. Il a porté son choix sur Sophia dont la famille est sans-le sou. Mais c'est compter sans Anna, une riche paysanne qui éprouve pour lui une passion jalouse et veut l'enserrer dans ses filets. Ne s'embarrassant pas de scrupules, elle arrive à ses fins. Pour son propre malheur. On entre avec cette pièce dans les viscères du monde rural. Des trolls, ces créatures chimériques, commentent et peut être influencent les destins. Plus accoutumé à fréquenter les animaux que les humains, Manao éprouve pour son cheval un tel attachement qu'il passe plus volontiers ses nuits dans l'écurie que dans dans la chambre conjugale. Ce qui fait naître le bruit que le cheval serait habité par un être fantasmagorique. Chez Hans Henny Jahnn le réalisme côtoie le surnaturel, le lyrisme la cruauté la plus triviale. Ce qui frappe dans cette pièce est sa démesure que le jeune metteur Pascal Kirsch met splendidement en lumière. On ne peut qu'être stupéfait par la maîtrise avec laquelle il s'est emparé de ce texte dont le climat rappelle l'univers terrien de Dylan Thomas et qui s'inspire pour ce qui est des situations et des personnages hantés de troubles désirs autant de Shakespeare que de contes de Grimm. Porté par des comédiens d'une singularité exceptionnelle (notamment Vincent Guédon, Raphaëlle Gitlis, Arnaud Cheron, Elios Noël... ) cette oeuvre dramatique de l'auteur de "Pasteur Ephraïm Magnus" et d'une bluffante "Médée" provoque l'ivresse d'une découverte fondamentale. Jusqu'au 9 octobre L'échangeur Bagnolet à 19h30 du lundi au samedi à 17h dimanche (relâche les mercredis)tel 01 43 62 71 20

samedi 26 septembre 2015

Café Polisson. Mise en scène Jacques Verzier

Mise en scène par Jacques Verzier qui tire malicieusement parti de la largeur du plateau et de son absence de profondeur, Nathalie Joly - qu'entourent le pianiste Jean-Pierre Gesbert, la bandéoniste Louise Jallu et la danseuse Bénédicte Charpiat - nous plonge dans ce que l'on appelait autrefois le demi-monde. Et c'est un régal. Les chansons et autres goualantes des défunts caf'conc' qu'a dégottées la comédienne-chanteuse et qu'elle interprète à merveille sont - on n'en sera pas surpris - d'une savoureuse gaillardise. Le répertoire de celles qu'on appelait selon les époques ou leur renommée des gueuses, des racoleuses, des bitumeuses... était d'une richesse foisonnante. C'est qu'il y avait, pour désigner les services "offerts" par les filles de joie une infinité de vocables qu'on découvre avec jubilation. Vêtue par les soins de Claire Risterucci et de Carmen Bagoe avec l'élégance orageuse du trottoir, Nathalie Joly fait sa coquine puis rappelle le sort de celles qui se retrouvaient détenues à Saint Lazarre, le corps parfois miné. Le délicieux décor de maison close conçu par Jean-Jacques Gernol achève de rendre ce spectacle - qui se déroule dans le cadre de l'exposition Splendeurs et misères, images de la prostitution 1850-1910 - plus que recommandable. Samedi 3 oct 16h, Samedi 10 oct 16h, jeudi 15 oct 20h30 Auditorium du Musée d'Orsay.

mardi 22 septembre 2015

Père d'August Strindberg Mise en scène Arnaud Desplechin

Pour ce qui est des empoignades conjugales, Strindberg en connaissait visiblement un bout. D'accords sur rien, le Capitaine et Laura, son épouse ne le sont évidement pas sur l'éducation de Bertha, leur fille. Si la mère veut la garder auprès d'elle, le père veut au contraire l'envoyer à la ville afin qu'elle apprenne un métier qui lui permettra, si elle ne se marie pas, de vivre de son travail. Le paradoxe (la pièce en fourmille) est que, par ailleurs, fidèle aux injonctions de son époque, le Capitaine affiche un mépris farouche pour la gent féminine. La pièce - c'est là la finauderie de Strindberg - annonce en fait la fin de l'ère patriarcale. Laura a depuis sa plus tendre enfance, comme le dit son pasteur de frère lors d'une conversation avec le Capitaine, toujours eu le dernier mot. C'est ce qu'elle aura aussi à l'issue d'une guerre des mots qui sans cesse se ravive. Personnalité d'un cran bien trempé, elle usera pour acquérir sa liberté de stratagèmes qui mèneront son mari à la folie. Lorsqu'elle insinue que Bertha n'est peut être pas sa fille, cet homme si sûr de son droit et de son savoir, perd pied. En viendra même à sangloter. Ce que l'on comprend moins- c'est la réserve majeure qu'inspire le spectacle - est la raison pour laquelle le metteur en scène fait à plusieurs reprises pleurer Laura (Anne Kessler). Difficile de ne pas penser à Ingmar Bergman dans les films duquel les femmes, aussi monstrueux que soit leur sort, jamais ne versent une larme. On sait qu'Arnaud Desplechin, l'un des rares cinéastes français à pouvoir mener une carrière d'une superbe exigence, voue une passion au théâtre. Ses films Léo "Dans la compagnie des hommes" d'après le dramaturge anglais Edward Bond et Esther Kahn le prouvent. Il fait ici de convaincants débuts de metteur en scène de théâtre. Lesquels permettent de retrouver le splendide texte français d'Arthur Adamov. L'interprétation par Michel Vuillermoz du Capitaine est, quant à elle, d'une telle force, qu'on peine à trouver pour la définir des mots qui ne soient pas usés. Citons parmi ses partenaires Martine Chevalier qui transforme la vieille gouvernante en un bloc d'humanité inquiète. Jusqu'au 4 janvier Comédie -Française Salle Richelieu tel 01 44 58 15 15

mercredi 16 septembre 2015

Comme une pierre qui ... Sur une idée de Marie Rémond. Adaptation et mise en scène Marie Rémond et Sébastien Pouderoux

Elle l'avait déjà prouvée avec ses précédents spectacles (André et Vers Wanda) Marie Rémond ne se contente pas de s'aventurer hors des chemins balisés, elle bâtit à partir d'ingrédients insolites un théâtre aussi inédit que jubilatoire. Epaulée par Sébastien Pouderoux, son complice attitré, elle réinvente - en s'appuyant sur le livre de Greil Marcus - la séance d'enregistrement en studio en 1965 de Like a Rolling Stone. Entouré de quatre musicien de formation diverses, Bob Dylan alors en panne d'inspiration, compose, on pourrait dire déverse, vingt pages de ce qui va être une chanson phare de sa génération avant de devenir immortelle et d'ouvrir (bien plus tard) la voie aux artisans du Rap. Il paraît évident que les sixties offraient un terreau propice à la création. Il n'empêche que les répétitions furent bordéliques et qu'après le moment miraculeux de l'enregistrement les tentatives suivantes furent de fichus insuccès. Le spectacle, relevé constamment de pointes d'humour, s'attache à imaginer les relations que nouent les interprètes, celles moins cool que tente d'imposer le producteur (Gilles David à son meilleur) et celles qui se tissent avec la vedette. Dylan est joué avec une intensité magnétique par Sébastien Pouderoux. L'éloquence torrentielle avec laquelle il fait surgir des grands fonds le poème est l'un de ces moments qui prennent place dans les mémoires. Pour le reste on ne peut qu'applaudir l'entrain en demi teinte de la brochette de jeunes qui l'entourent (Stéphane Varupenne, Christophe Montenez et les élèves comédiens Gabriel Tur et Hugues Duchène). La plupart d'entre eux sont à l'évidence des musiciens accomplis. Ce spectacle semble à l'image de la nouvelle ère qui s'ouvre au Français. Audacieux, exigeant, inventif, à même de faire la nique aux temps désespérants que nous traversons. Jusqu'au 25 octobre Studio Théâtre Galerie du Carroussel du Louvre tel 01 44 58 98 58

dimanche 13 septembre 2015

Un tango en bord de mer de Philippe Besson

L'écrivain Philippe Besson y va franco. Les deux hommes qui se retrouvent à une heure avancée de la nuit dans le bar d'un palace en bord de mer ont été amants. Ils échangent des souvenirs certains cuisants, d'autres - la mémoire jouant des tours - faux. L'un, Stéphane, est un auteur à succès, l'autre,plus jeune(Vincent) cherche sa voie... Ce dernier a trois ans plus tôt quitté son aîné sans crier gare. Le plus âgé, à l'évidence le double du romancier, est à en croire son ex, un homme placide qui adore la notoriété qu'il prétend haïr. Vincent est toujours apparu aux yeux de son amant comme un garçon qui use et abuse de sa jeunesse. Ce que nie le fringant trentenaire. L'alcool peu à peu renforce les élans affectifs, fait oublier les empoignades, les pousse à davantage se livrer. Si le voyage au bout d'eux même qu'effectuent les deux personnages n'apparaît pas bidon c'est grâce à la forte présence, à la force de conviction des deux comédiens : Jean-Pierre Bouvier, dont on connaissait l'excellence, et Frédéric Nyssen qui se tire avec finesse d'un rôle un peu convenu. Petit Montparnasse tel 01 43 22 17 74

jeudi 10 septembre 2015

887 Conception, mise en scène et jeu Robert Lepage

Seul sur le plateau, comme il l'a déjà été à plusieurs reprises, Robert Lepage parle d'emblée de l'offensive de l'âge. Le temps passant, il constate - comme tout un chacun... - que la mémoire des faits récents est peu sûre alors que celle de l'enfance semble inentamée. Et de revenir sur ses jeunes années au cours desquelles il habitait avec parents, frère, soeurs et grand-mère un appartement situé dans un immeuble dont les locataires, décrits avec un humour acide, n'avaient en commun que de mener des vies précaires. Et le bâtiment, ressurgi des limbes de la mémoire, de se retrouver en miniature sur le plateau. Qui connaît le travail de ce metteur en scène sait avec quel art il utilise et poétise les nouvelles technologies. L'habillage visuel de son dernier opus laisse carrément baba. Tout comme son talent à glisser de son histoire personnelle à celle du Québec. La personnalité qui l'a à l'évidence le plus marqué est son père, qui trima dès l'âge de huit ans, devint chauffeur de taxi, fut un homme taiseux. Ce qui ne l'empêcha pas à la fin des années soixante, temps de convulsions politiques et sociales où la communauté francophone eut des velléités d'indépendance, d'exprimer que si la cause était juste, la méthode des insurgés pour arriver à leur fin ne l'était pas. Dans la foulée Robert Lepage rappelle que le Québec vécu à cette époque sous le joug d'Ottawa. La visite de soutien de De Gaulle aux indépendantistes fut, dit-on aujourd'hui, un pétard mouillé. On peut regretter le ton grandiloquent de ces réflexions sur les tensions identitaires. D'autant que le spectacle n'est pour le reste que charme tantôt mélancolique, tantôt facétieux. Jusqu'au 17 septembre Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris (01 53 45 17 17) Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

dimanche 6 septembre 2015

Les voisins de Michel Vinaver

En écrivant en 1984 Les voisins, Michel Vinaver sortait du cadre de ce que l'on appelait jusqu'alors "Le théâtre du quotidien" qui dépeignait de façon naturaliste des vies qu'on qualifiait d'ordinaires. Les parcours de Blason (Patrick Catalifo)et de Laheu (Lionel Abelanski), qui vivent le premier avec Alice, sa fille (Alice Berger), le deuxième avec Ulysse, son fils, handicapé mental très léger (Loic Mobihan), ont été semés d'embuches, d'accidents, de ruptures, de deuils. En dépit de tempéraments on peut plus opposés, les deux hommes se font confiance, ont le sentiment de bien se connaître, partagent fréquemment, sur la terrasse qu'ils ont en commun, une bouteille de vin ou, à de grandes occasions, de champagne. Quand la pièce débute Ulysse vient d'enterrer sa chienne. Un autre événement, on pourrait dire un ouragan va s'abattre sur le quatuor. Blason, principale victime de cet épisode, ne semble au premier abord, pas trop éprouvé. Il ne tarde pourtant à chercher des bricoles à son voisin. Lequel n'entend pas en rester là. Les anciens potes s'affrontent avec une ardeur qui va en s'accentuant. Le combat est sans merci. Leurs enfants, qui rêvent d'un avenir commun, ne paraissent pas gagnés par le délire de leurs pères. Apparence trompeuse. Patrick Catalifo déploie toute sa puissance dans le rôle de cet homme, dont on assiste à la désagrégation intérieure. On ne peut qu'être séduit par le contraste entre les deux comédiens qui incarnent les pères. Il est clair que Michel Vinaver considère que le monde dans lequel nous évoluons menace notre équilibre psychique. Ce que Marc Paquien, qui assure la mise en scène, souligne avec une adresse infinie. Notamment en ponctuant le spectacle d'appels à l'apaisement sous forme de brefs extraits d'oeuvres de Mozart Théâtre de Poche Montparnasse tel 01 45 44 50 21

mercredi 12 août 2015

Le Théâtre du Peuple à Busssang fête ses 120 ans.

Pour les 120 ans de la création du Théâtre du Peuple par l'écrivain Maurice Pottecher - qui voulait par ce biais faire accéder à ce que l'on appelle le savoir ou la culture ceux qui trimaient dans l'usine paternelle - Vincent Goethals, directeur du lieu, a décidé de rendre hommage à des auteurs dramatiques de la proche Allemagne. S'il a, lui, porté son choix sur "L'opéra de Quat'sous" de Bertolt Brecht, Yves Beaunesne s'est, de son côté, prononcé pour "Intrigue et amour" de Friedrich von Schiller. Il est clair que l'événement, cette année, aura été la redécouverte de cette pièce pourtant bien inactuelle du vieux loup des lettres (1759-1804) Dévorés par l'intensité de la jeunesse, la fille d'un modeste maître de musique et le fils d'un comte président, parvenu à ce haut rang au moyen de douteuses intrigues, veulent lier leurs vies. Ce qui ne fait l'affaire d'aucun des pères. L'éminent personnage intime à son fils l'ordre de mettre fin à cette "amourette". N'arrivant pas à ses fins, il use de stratagèmes d'une férocité retorse. Bien qu'il aurait gagné à être plus ramassé, le spectacle incontestablement séduit. Cela grâce à une mises en scène façonnée avec esprit, à la traduction piquante et pleine d'audacieuses trouvailles de Marion Bernède et d'Yves Beaunesne et à une interprétation de choix. Dont les fleurons sont Jean-Claude Drouot (le père sans scrupules) et Philippe Fretun (le père humilié) Monté par Vincent Goethals, L'opéra de Qua't sous ne se hisse pas au même niveau. Les comédiens en sont des professionnels et des amateurs qui, tous, semblent en roue libre. Le fait d'avoir transformé ce texte d'une saisissante acuité politique et sociale en un baratin démagogique (véritable appel aux applaudissements) n'arrange évidement rien. Jusqu'au 23 août Bussang 03 29 61 50 48

jeudi 23 juillet 2015

La nuit et le moment d'après Crébillon fils. Adaptation et mise en scène Melissa Broutin

Le climat des dernières années du règne de Louis XIV fut si puritain que sa mort provoqua, du moins dans les classes favorisées, un impressionnant et durable relâchement des moeurs. Il était désormais de bon ton de n'écouter que son désir. Dans son oeuvre "La nuit et le moment" l'écrivain Crébillon fils (1707-1777) introduit le lecteur dans la chambre d'une dame (Cidalise) à qui un de ses familiers (Clitandre) vient proposer ses bons offices. Après avoir chacun évoqué des liaisons qui ont mal tournées et déversé leurs rancoeurs, ils se laissent déborder par leurs propres ardeurs.... Difficile de ne pas être conquis par l'ingénieuse adaptation pour la scène qu'a réalisée Melissa Broutin. Laquelle à trouvé en Marie-Alix Costé de Bagneaux et Thomas Durand des acteurs qui savent avec une savoureuse ironie utiliser leur physique et manier des dialogues fringants sinon lestes. Bons bougres, ils nous donnent en sus l'occasion de goûter les charmes de l'imparfait du subjonctif. Jusqu'au 8 août A 18h30 Lucernaire tel 01 45 44 57 34

mercredi 1 juillet 2015

Quand le diable s'en mêle d'après Georges Feydeau

Mettre en scène un spectacle qui se jouera durant les deux mois de vacances scolaires devant la façade du château de Grignan est un exercice périlleux. Beaucoup s'y sont cassé les dents. Pas Didier Bezace qui a eu l'ingénieuse idée de proposer trois courtes pièces de Feydeau (Léonie est en avance, Feu la mère de madame et On purge bébé) dans lesquelles un diable pétillant d'insolence fait de fréquentes incursions. On sait que la verve de Feydeau hisse les querelles conjugales à des sommets de comique. Grand pourvoyeur de scène de ménage qui tournent au délire, il imagine des situations où devant l'irascibilité de leur épouse, les maris n'en mènent pas large, s'indignent piteusement ou mentent à qui mieux mieux et finissent immanquablement vaincus, essorés. Dans un décor qui n'arrête de se transformer imaginé par l'hyper talentueux Jean Hass se déroule des scènes d'une ahurissante extravagance. Et la représentation d'arracher aux spectateurs de longs et fréquents fous-rires. La direction virtuose de comédiens (Clothilde Mollet, Thierry Gibault, Ged Marlon, Océane Mozas, Lisa Schuster et Luc Tremblais, dont les rondeurs et la douceur rappellent Jacques Villeret) qui, tous, jouent, avec un bluffant savoir faire des personnages qui partent en vrille est, c'est l'évidence, pour beaucoup dans le plaisir que procure ces effarantes comédies domestiques. Jusqu'au 22 août Château de Grignan tel 04 75 91 83 65 château.ladrome.fr

lundi 29 juin 2015

Le mariage de Maria Braun de Rainer Werner Fassbinder

La représentation s'ouvre sur quelques documents filmés au temps où des foules adulaient le führer et croyaient au triomphe de la race des seigneurs. Maria épouse le soldat Braun envoyé presque illico sur le front. Dont il ne revient pas Pour parvenir à nouer les deux bouts dans l'Allemagne post nazie la jeune femme, qui vit avec sa mère, est entraineuse dans un bar. Le retour inattendu de son bien aimé mari va bouleverser ses plans.Pas pour longtemps. Un homme d'affaire épris d'elle l'engage dans son entreprise. Elle y fait preuve d'un zèle carnassier. Devenue experte en acrobaties financières, elle se définit elle même comme la Mata Hari du miracle économique. Mais cette femme dont la sensibilité semble anesthésiée ne vit que dans l'espoir de partager enfin la vie de son conjoint parti au loin. Une fois de plus le classicisme de la mise en scènes de Thomas Ostermeier fait merveille. Alors que Fassbinder (dont il porte à la scène le scénario de l'un de ses films les plus fameux) ) éprouvait une haine qu'il ne cherchait pas à contenir à l'égard de la génération qui vécut sous le régime hitlérien et retrouva la prospérité dès les années soixante,on ne discerne rien de semblable dans le spectacle. Les personnages - interprètes par quatre comédiens qui se glissent tantôt dans des peaux d'hommes tantôt dans des habits féminins - s'ils ne sont en rien vertueux ne ressemblent pas non plus aux monstres qui peuplent les oeuvres de Fassbinder.On suppose que si Ostermeyer a porté son choix sur ce Mariage de Marie Braun c'est que son ultra lucide auteur y prophétisait l'individualisme conquérant qui est la marque de notre époque Jusqu'au 3 juillet Théâtre de la ville tel 01 42 74 22 77

jeudi 25 juin 2015

Les inséparables d'après Colas Gutman

La séparation de leurs parents ne plaît pas mais alors pas du tout à Simon et à Delphine, sa grande soeur. Aussi se font-ils fort d'à nouveau les réunir. Quand ils apprennent que leur papa a une amoureuse, ils décident d'agir. La nouvelle compagne du paternel a deux enfants du même âge qu'eux. Auxquels les deux polissons vont tenter d'en faire voir de toutes les couleurs. Mais leurs provocations à deux balles n'auront pas l'effet escompté. Adapté du roman de l'excellent écrivain pour la jeunesse Colas Gutman (auteur du célèbre"Chien pourri")qui observe ici à la loupe et avec attendrissement et humour une famille recomposée, le spectacle mis en scène par Léna Bréban est un festival de situations farcesques. Elle a trouvé avec Jean-Luc Chanonat, responsable des lumières et Julie Deljehier qui a conçu les costumes, des appuis précieux. Les quatre comédiens (Laure Calamy, Julie Pilod, Rachel Arditi et Alexandre Zambeaux), pour leur part, ne ménagent pas leur savoir faire lequel est aussi impressionnant que désopilant. C'est sans hésitations que l'on conseille ce spectacle "jeune public" où la fantaisie gouverne et dont la langue est tout bonnement truculente. Jusqu'au 12 juillet Théâtre Paris-Villette tel 01 40 03 72 23 theatre-paris-vilette.fr (les horaires étant variés il est conseillé de prendre des informations)

samedi 13 juin 2015

Un amour qui n'en finit pas d'André Roussin

On croyait le charme des pièces d'André Roussin bien décati. Il a fallu l'intelligence rouée du metteur en scène et comédien Michel Fau pour qu'il opère à nouveau. Alors qu'il prend les eaux dans une station thermale Jean, un industriel, s'éprend d'un amour absolu pour Juliette, une femme mariée et amoureuse de son époux. Qu'à cela ne tienne l'ennamouré, par ailleurs mari souvent volage, ne désire pas que l'objet de sa flamme partage sa passion. Cette utopie sentimentale va provoquer des situations alarmantes. Alors qu'il est d'usage dans le théâtre de boulevard qu'un canapé occupe la scène, il est ici bien présent mais coupé en deux afin qu'on ait l'illusion de se trouver tour à tour ou en même temps sur les lieux où vit chacun des couples. Rentré chez lui, Jean nage dans le bonheur. Mais un bonheur n'étant jamais sans mélange, il lui faut, d'abord patiemment ensuite les nerfs en pelotes, répondre aux questions faussement innocentes de Germaine, sa moitié. Michel Fau, toujours au bord de l'effet mais n'y cédant jamais, et Léa Drucker forment un duo particulièrement savoureux. Les deux interprètes se renvoyant la balle avec une maîtrise succulente on ne sait trop qui manipule qui... Grace à eux cette pièce avouons le, plutôt désuète, apparaît d'un humour décapant. Comme on pouvait s'y attendre le second couple découvre, lui, les joies de la prise de bec. La pirouette finale est, quant à elle, carrément exquise. L'Oeuvre tel 01 44 53 88 88

vendredi 5 juin 2015

Les heures souterraines de Delphine De Vigan

De nos jours il ne fait pas bon prendre de l'ancienneté. C'est ce que constate Mathilde, 45 ans, qui, après avoir été la femme de confiance de son patron est devenue sa bête noire. Les petites humiliations se multiplient. Broyée par le système ,comme le sont actuellement un nombre croissant de cadres, elle frise la dépression. Assurée que la situation ne peut aller qu'en se dégradant, elle trouve le moyen d'échapper à la pression exercée sur elle. Thibaut est, pour sa part, un médecin appelé en consultation chez des personnes le plus souvent au bout du rouleau. Menant une vie personnelle peu affriolante puisqu'il ne se sent pas le moins du monde aimé par celle qu'il chérit, il décide de rompre. Ce qui ne semble pas affecter l'objet de sa passion. La romancière Delphine de Vigan s'attache à deux êtres auxquels le sort ne semble guère favorable. Mais loin d'avoir l'esprit défaitiste, elle souligne que les interventions du toubib peuvent se révéler bénéfiques et que la responsable en communication si durement maltraitée a les moyens de ne pas se laisser anéantir. Entourés d'artistes- techniciens - qui ont tous trois collaboré aux mises en scène de Joel Pommerat - tels que le vidéaste Renaud Rubiano, l'éclairagiste Eric Soyer et François Leymarie dont le travail sur le son est celui d'un maître - les comédiens, Anne Loiret (qui a par ailleurs réalisé l'adaptation pour la scène du roman) et Thierry Frémont, dirigés avec tact par Anne Kessler, ont des présences qui en imposent de bien singulière et attachante façon. Théâtre de Paris - Salle Réjane tel 01 42 80 01 81

lundi 1 juin 2015

On ne se mentira jamais de Eric Assous

Des années que l'écrivain de théâtre Eric Assous et le comédien - metteur en scène Jean-Luc Moreau forment un tandem à succès. Fanny Cottençon les a cette fois rejoins. Les deux interprètes forment un couple qui, mine de rien, affronte l'épreuve du temps. Un incident banal va leur faire saisir que leurs entente peut à tous instants voler en éclats. Marianne croit comprendre que son cher et tendre n'est pas aussi détaché qu'il l'affirme d'une amante de jeunesse. Ses questions et ses allégations semblent friser l'acharnement Les réponses dénuées d'émotion de son compagnon devraient l'apaiser. Il n'en est rien. C'est que monsieur, comme elle s'en rend compte, est passé maître dans l'art de l'esquive. L'auteur a tissé sa pièce avec une habileté jubilatoire. On l'imagine se tendant des pièges qu'il trouve constamment le moyen de déjouer et prenant des virages qui jamais ne le mènent dans le mur. Il a trouvé en Fanny Cottençon et Jean-Luc Moreau des complices bigrement avertis. Théâtre La Bruyèretel tel 01 48 74 76 99

vendredi 29 mai 2015

La maison de Bernarda Alba de Federico GarciaLorca

Au retour de l'inhumation de son second mari Bernarda Alba annonce à ses cinq filles que débutent huit années de deuil. Seule Angustias, l'aînée, fruit du premier mariage de sa mère, n'aura pas à connaître la monotonie de la claustration. Comme à l'inverse de ses soeurs elle possède des biens, elle ne tarde pas à être demandée en mariage par Pepe le Romano, le plus beau gars du village attiré en réalité par Adela, la benjamine de la maisonnée. La chaleur qui règne tout au long de l'été andalou exacerbe les tensions. Travaillées par leur libido, les filles soumises aux ukases de la matriarche prennent conscience, comme le dit l'une d'entre elles, du malheur d'être femme. A l'heure où dans de si nombreuses contrées triomphent des discours rétrogrades, l'oppression des femmes est un sujet d'une brûlante actualité. Alors qu'il y a quelques années encore La maison de Bernarda pouvait apparaitre comme une pièce évoquant des moeurs d'un autre âge, il n'en va plus de même. D'autant que la traduction de Fabrice Melquiot fait la part belle à des dialogues cinglants. Lilo Baur, qui, elle, est à la manoeuvre, a eu l'heureuse idée de laisser apparaître en fond de scène la façade de la maison où les filles aux désirs inassouvis captent à travers les fentes des jalousies des images d'une vie qui leur est interdite et peuvent exciter leur jalousie. Plus encore que dans les autres pièces de Lorca le désir est ici chauffé à blanc.Ce qu'il démontre à travers une scène où alors que les femmes sont à table, elles entendent l'étalon qui, frustré de la présence d'une pouliche, frappe violemment du sabot. Avec toute la férocité de sa vertu Bernarda (Cécile Brune) fait suinter dans cette demeure au climat mortifère le plus criant des obscurantismes. Ses victimes sont et ses filles et l'une de ses servantes dont elle a réussit à faire son informatrice. Des comédiennes qu'il faudrait toutes citer jouent à merveille ces femmes de tous âges empêchées de respirer. Jusqu'au 25 juillet Comédie- Française Salle Richelieu tel O8 25 10 16 80

samedi 23 mai 2015

Les îles désertes de Avela Guilloux et Rébecca Stella

Le projet est modeste et s'adresse au départ du moins aux enfants. Comme sommeille en chaque adulte le souvenirs des paniques dont il a été assailli dans ces jeunes années la découverte qu'elle est diabétique fait par Léa à l'âge de 9 ans ne laisse pas indifférent. Ecrite par deux mères d'enfants qui souffrent de ce mal, la pièce à des accents de vérité d'autant plus convaincants que le rôle de la fillette est endossé par Rébecca Stella, l'une des maman qui est de surcroit une comédienne d'une subtile envergure. Et l'on suit, bluffé la transformation d'une môme que ses comportements décidés mais aussi une sphère familiale bienveillante aident à faire un bras d'honneur au destin. Il lui faudra évidement pour cela s'empailler avec quelques bonnes âmes. La mise en scène de cette pièce d'apprentissage est astucieusement assurée par Avela Guilloux et Caroline Stella. Jusqu'au 30 mai Le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

mardi 19 mai 2015

Touchée par les fées de Marie Desplechin

Seule sur scène, Ariane Ascaride raconte ses premières années. Récit qu'elle fit au départ à l'amie écrivain Marie Desplechin. Laquelle a mis ses mots sur les souvenirs de la comédienne. Et l'on a la jubilante surprise de voir l'interprète des films de Robert Guédigian et de quelques autres cinéastes dire, chanter et danser les jours anciens. La figure majeure de son enfance est - qui s'en étonnera? - son père : un coiffeur marseillais d'origine napolitaine qui jouait et mettait en scène avec une troupe d'amateurs issus de la résistance des joyaux du répertoire. Sa fille fit ses débuts en cette chaleureuse compagnie. Ignorant évidement les dessous sanglants du stalinisme, le paternel était un chaud partisan du petit père du peuple.La tendresse pour les gens du quotidien d'Ariane Ascaride devenue une interprète à succès trouve, on peut le supposer, son origine dans l'éducation donnée par ce père militant. Une autre personnalité qui marqua sa jeunesse fut Rudolph Nouréev. Une photo montre cet être hors norme qui ne serrait jamais les mains mais offrait des fleurs à tous ceux que son apparition mettaient en joie. A l'extrême bord gauche du cliché une menotte se tend. Celle de la petite Ariane à qui cette découverte fait pousser des cris de ravissement. Il est piquant que ce soit Thierry Thieû Niang, un autre danseur et chorégraphe, qui assure la mise en scène du spectacle. Ceux qui connaissent le travail de cet artiste sans frontière - qui collabora à des mises en scène de Patrice Chéreau, de François Rancillac, de Pier Lamandé, de tant d'autres - connaissent son talent à pousser chanteurs, acteurs et non professionnels au meilleur d'eux mêmes. On quitte cette "petite ode au théâtre et à la vie" comme l'écrit Marie Desplechin littéralement charmé. Jusqu'au 17 Mai Théâtre de l'Aquarium,du 27 au 30 mai Théâtre du Gymnase Marseille tel 04 91 24 35 24

jeudi 23 avril 2015

Antigone de Sophocle

Peu de tragédies venues du fond des âges ont conservées autant d'impact que l'Antigone de Sophocle. C'est qu'ils sont, comme autrefois, innombrables les détenteurs du pouvoir qui promulguent - ou inspirent- des lois iniques. Malheur à ceux qui, comme Antigone, les bafouent. Considéré comme l'un des metteurs en scène phare d'aujourd'hui, Ivo van Hove a monté la pièces avec des acteurs britanniques et la française Juliette Binoche aussi à l'aise dans la langue de Shakespeare que dans la sienne. Disons le d'emblée : les comédiens, et en particulier Patrick O'Kane qui interprète Créon, sont remarquables de sobre intensité. D'où vient alors le sentiment de gêne qui parfois nous gagne? Assurément à une trop grande quantité d'effets sonores et surtout visuels. Difficile aussi de ne pas être surpris par le découpage du texte. Antigone morte ressurgit pour lancer des phrases qui devaient échoir à l'un des autres protagonistes. Ce qui est d'autant plus navrant que la traduction de Anne Carson (qu'on découvre en surtitres)restitue avec des phrases incandescentes la force du drame. Reste qu'en ces temps couturés de guerres et de mensonges d'Etat, la tragédie de Sophocle apparaît plus que jamais comme un vibrant appel à l'insubordination. Jusqu'au 14 mai Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

jeudi 16 avril 2015

Les inquiets et les brutes de Nis -Momme Stockmann

Deux frères dont les relations se sont visiblement espacées découvrent ensemble leur père mort. S'ils se montrent modérément émus, ils n'ont guère idée de ce qu'il convient de faire du corps souillé du vieillard. L'auteur dramatique allemand Nis -Momme Stockmann n'est amateur ni de psychologie, ni de conventions narratives ni enfin des situations trash si courantes dans le théâtre d'au delà du Rhin. Si les frères en viennent parfois aux mains, ils n'ont pas de ces discussions si attendues dans de telles circonstances au cours desquelles chacun déballe ses griefs. L'aîné puis son cadet, se laissent aller à des pensées qui peu à peu s'égarent. Et leur permet d'interroger l'inconnu en lui. L'écriture hallucinée de l'auteur âgé seulement de 34 ans n'est pas sans évoquer celle de Peter Handke. Olivier Martinaud qui a mis en scène cette pièce d'une force secouante (qu'il a traduit de l'allemand avec Nis Haarmann) a déniché pour la jouer deux comédiens dont la démesure intérieure convient on ne peut mieux à cet univers d'une intensité peu commune. Il s'agit de Daniel Delabesse (vu dans des créations de Didier Bezace) et de Laurent Sauvage (remarqué en compagnon de route de Stanislas Nordey) JUsqu'au 16 mai Le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

lundi 13 avril 2015

Dehors devant la porte de Wolfgang Borchert

Deux spectacles d'écrivains allemands actuellement à l'affiche à Paris évoquent le retour au pays d'un soldat parti guerroyer. Hinkemann d'Ernst Toller décrit les désastreuses retrouvailles avec sa femme d'un homme qui a perdu durant la saignée de 14-18 ses attributs sexuels. Bien que mise en scène avec maestria par Christine Letailleur la pièce portée aux nues par la critique nous a semblé inconsidérément bavarde et lorgner trop résolument du côté de Bertolt Brecht. Dehors devant la porte de Wolfgang Borchert est d'un acabit nettement supérieur. Revenu de Sibérie où il passé plus de deux ans, le sous officier Beckmann qui participa à la bataille de Stalingrad a une jambe raide et porte des lunettes de masque à gaz. Celles-ci devaient permettre à ceux qui les chaussaient de foncer droit sur l'ennemi. L'ennemi à présent sont plutôt ses compatriotes qui le prennent de haut et ne lui offrent aucune aide. Son allure et ses paroles lui valent au contraire des rires malveillants. Il atteint le bout de ce chemin de douleur quand une voisine de ses parents, avec des accents mauvais, lui relate leur sort. Qu'on laisse découvrir tant il dépasse l'imagination. La jeune Lou Wenzel s'est saisie de cette pièce qui, on l'aura compris, baigne dans le noir de son temps, avec des moyens réduits et un art déjà consommé de la mise en scène et de la direction de comédiens. Wolfgang Borchert écrivit ce texte (et quelques nouvelles) au sortir de la guerre. Il mourut peu après âgé de 26 ans. Le prodige est que l'élan qui soulève la troupe est diablement porteur d'espoir. Jusqu'au 19 avril à La Parole errante - Montreuil Réservations : louwenzel@free.fr

dimanche 12 avril 2015

La révolte de Auguste de Villiers de l'Isle -Adam

On ne peut que complimenter Marc Paquien qui a eu la riche idée de monter ce texte d'une aigre splendeur de Villiers de l'Isle-Adam. Ce que fit déjà il a quelques années et de façon mémorable Alain Olivier. Une jeune femme, prénommée Elisabeth, tient avec sagacité le livre de comptes de son époux. Une nuit, lasse de se sentir happée par le néant de cet homme, qui amasse, trafique, fait les poches à ceux qui sont dans le besoin, elle lui annonce qu'elle le quitte. Pour lui expliquer son geste elle descend en elle-même, lui parle de sa vie réglée comme une horloge, de sa soif d'intensité. Ce qui ne sape pas le moins du monde les certitude du mari. Lequel ne retient pas un traitre mot des explications de celle qu'il considère davantage comme sa comptable que comme sa femme ou que comme la mère de son enfant. Mais Elisabeth qui avait tout misé sur la fuite revient quelques heures plus tard. Consciente que l'ennui qui l'accablait ne peut se dissiper. Ce texte subversif, le maître d'oeuvre l'a mis en scène de manière on ne peut plus classique. Acteurs au cordeau, Anouk Grinberg et Hervé Briaux ont, comme on pouvait s'y attendre, un jeu sans failles. Jusqu'au 25 avril Théâtre de Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50

mardi 31 mars 2015

Innocence de Dea Loher

A l'exemple de Heiner Müller, Botho Strauss ou Peter Handke, autres écrivains d'un irréfutable génie, comme elle d'origine germanique, Dea Loher méprise les conventions narratives. Sur la vaste scène se succèdent ou se croisent plusieurs hommes et femmes dont le bâti intérieur a été mis à mal.Deux travailleurs clandestins assistent,sans réagir, à la noyade d'une fille probablement jeune. Ils seront désormais taraudés par la culpabilité. Frau Habersatt qui survit en solitaire s'échine à tisser des liens, tandis qu'une autre, plus âgée, qui souffre de diabète et s'appelle Frau Sucker (sucre!) a su, à sa façon impérieuse, imposé sa volubile et féroce présence à sa fille et à son gendre. Ce dernier qui travaille dans une entreprise de pompes funèbres se rend compte qu'il s'attache davantage aux morts qu'aux vivants. Assise à l'écart, Hella dénigre les mythes qui servent de socle à la société et laisse libre cours au mépris que lui inspire un mari qui savait, au temps de leur jeunesse, lui donner du plaisir. Véritable spectacle polyphonique que d'aucuns (dont certains journalistes qui ne se sont pas donner la peine d'applaudir) trouvent trop statiques, Innocence en dit long sur une époque si chiche en humanité. On savoure d'autant plus la langue de Dea Loher qu'elle est traduite avec grâce par Laurent Muhleisen et que des comédiens tels que Daniele Lebrun, Claude Mathieu, Bakary Sangaré,Nazim Boudjenah et Cécile Brune ont su, sous la houlette de Denis Marleau, la mettre somptueusement en valeur. Jusqu'au 1er juillet Comédie - Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

lundi 23 mars 2015

Little Joe Spectacle hommage aux films de Paul Morissey mis en scène par Pierre Maillet

Comparse d'Andy Warhol, Paul Morisssey réalisa au début des années 70 avec des habitués de La Factory (atelier d'artistes réunis autour de l'inventeur du pop art) la trilogie Flesh, Trash et Heat. Ces films apparaissent à présent comme des documents sur une époque où de jeunes marginaux américains faisaient la nique à l'ordre moral. L'adaptation pour la scène qu'a tiré de cette oeuvre Pierre Maillet est constituée de deux volets : New York 68 et Hollywood 72. Les musiques du Velvet Underground et de Coming soon, un groupe bien actuel et bigrement talentueux, accompagnent les descentes au gouffre d'un prostitué, d'un toxicomane et d'un chanteur autrefois enfant vedette. Les trois personnages interprètés à l'écran par Joe Dalessandro le sont ici respectivement et d'attachante façon par Denis Lejeune, Mathieu Cruciani et Clément Sibony. Dans sa mise en scène Pierre Maillet (qui joue lui-même et à merveille le rôle de la compagne surexcitée d'un des trois gars) en rajoute dans la drôlerie et le grotesque. Ce qui a pour effet de rendre incroyablement gracieuses des situations au départ glauquissimes. Difficile de ne pas être ému par Véronique Alain qui incarne une vedette vieillissante (dont le modèle est Sylvia Miles vue notamment dans Macadam Cow-Boy)prête à tout pour que son jeune amant ne prenne le large. Toute aussi admirable est Frederique Lolié qui se glisse dans la peau d'une jeune frappadingue dont le langage, quand on la contrarie, n'est plus qu'un déluge d'injures. Incarnant un personnage à l'évidence inspiré par Warhol, Marc Bertin fait, lui, une composition qui attire autant le rire que la sympathie. Bien que jalonné de scènes savoureuses et souvent d'une grand crudité, Little Joe baigne dans un climat de mélancolie. Dû à l'évidence à l'épidémie de sida qui allait peu après mettre un terme à la recherche angoissée d'une manière de vivre moins établie. Jusqu'au 29 mars 104 CENTQUATRE-PARIS Tel 01 53 35 50 00

lundi 16 mars 2015

L'or et la paille de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy

Orfèvres du théâtre de divertissement, Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy écrivent en tandem depuis le début des années 50. Citons dans le désordre parmi leurs innombrables succès Le don d'Adèle, Fleur de cactus, Quarante carats, Potiche. Ces comédies aux dialogues ciselées avaient le plus souvent pour vedettes ces irrésistibles natures comiques qu'étaient Sophie Desmaret et Jacqueline Maillan. Comédienne habituée à jouer dans des registres plus graves - où elle déploie parfois une fantaisie endiablée - Hélène Alexandridis a, comme ces aînées, du brio à revendre. Inconcevable de ne pas éclater de rire en la voyant jouer la veuve cousue d'or d'un magnat sud américain. Echouée par inadvertance chez un couple de jeunes amoureux sans le sou (Céline Martin- Sisteron et Loïc Riewer) qui vivait jusqu'alors aux crochets des copains, elle se révèle despotique croqueuse d'hommes. Du moins jusqu'à ce qu'elle croise dans l'appartement des jeunots un industriel peu averti des choses de la vie (Olivier Broche délicieusement drôle). Il serait mal venu de bouder le plaisir que procure ce spectacle ingénieusement mis en scène par Jeanne Herry, qui comme dans "Elle l'adore", son premier long métrage, affiche son goût des personnages dont l'extravagance provoque des situations rocambolesques. Jusqu'au 5 avril Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21 Du 15 au 17 avril Théâtre de l'Ouest Parisien Boulogne-Billancourt (92)

mercredi 11 mars 2015

Toujours la tempête de Peter Handke. Mise en scène Alain Françon

Errant sur la lande où il a grandi, le narrateur (Laurent Stocker) retrouve les fantômes des membres de sa famille. Sa mère (Dominique Reymond), sa grand -mère (Nada Strancar), son grand - père (Wladimir Yordanoff), sa tante (Dominique Valadié), ses oncles (Gilles Privat, Stanislas Stanic, Pierre-Félix Gravière) sont là, tout sourire. Ces retrouvailles avec le temps perdu commencent dans les années trente, peu avant que ne tombe la nuit de l'oppression. La famille de paysans, dans laquelle il est au début du spectacle un nouveau né, appartient à la minorité slovène installée en Carinthie autrichienne. Son attachement à son identité et par extension à son dialecte apparaît viscéral. L'anschluss, qui porte les nazis au pouvoir, est pour cette population slave une catastrophe. Certains sont obligés d'aller combattre aux côtés des occupants. D'autres vont rejoindre les partisans. La mère attend un enfant d'un soldat allemand avec lequel elle vit une passion. Le narrateur verra ainsi le jour. Les grands parents, quant à eux, subiront les assauts du malheur. Il ne fait pas de doutes que Peter Handke s'est inspiré pour écrire cette pièce de l'histoire des siens. Mais cette histoire il l'a surtout rêvée. Chacun des personnages a des traits attachants. Il est indubitable que les morts sont plus aimables que les vivants. Surtout quand on affiche parfois sa misanthropie comme l'a fait cet écrivain qui compte parmi les plus emballants de notre temps.La confrontation du narrateur avec l'un de ses oncles qui a versé dans l'amertume en dit long sur l'humeur dans laquelle il arrive à Handke de baigner Alain Françon ne semble pas avoir eu de peine à faire sien cet univers. Les lumières délicates conçues par Joël Hourbeigt et une distribution de rêve font de cette création un des moments forts de la saison. Jusqu'au 2 avril Odéon -Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

lundi 9 mars 2015

Requiem d'Hanokh Levin

Le vieux fabricant de cercueil d'une petite ville situé dans le lointain se plaint d'avoir la guigne. On le comprend : dans cette bourgade peuplée de vieilles gens personne presque ne meure. Il en est réduit à vivre avec sa femme, pour laquelle il n'a jamais eu aucun égard, dans une misérable cabane. Voyant la santé de sa moitié décliner, il l'emmène à la ville voisine où un infirmier prescrit des remèdes d'une parfaite inefficacité. Les voyages en carriole qu'il devra effectuer de multiples fois se font tantôt en compagnie de deux prostituées qui rêvent de rencontres miraculeuses, tantôt en celle de deux francs vauriens au gosier en pente et en quête d'aventures. Si on ajoute que sentant la mort rôder trois anges facétieux en diable n'arrêtent de faire leur apparition on comprendra que la pièce mêle dans un même souffle fable et interrogations philosophiques. Issu d'une famille de juifs rigoristes avec laquelle il prit rapidement ses distances, Hanokh Levin (1943-1999) était au fait de la pensée talmudique comme des légendes et des blagues qui se transmettaient dans le yiddishland. Cécile Backès - qui compte parmi les quelques metteurs en scène qui semblent pouvoir donner un souffle nouveau à l'art théâtral - ne s'y est pas trompée qui fait baigner son spectacle dans un climat qui rappelle les peintures de Chagall. Ce qui touche davantage encore est qu'elle fait - comme autrefois Tadéusz Kantor ou Claude Régy quand il montait des oeuvres de Maeterlick - coexister les vivants et les morts. Lorsqu'il écrivit cette pièce Hanokh Levin avait un pied dans la tombe. Ce qui est le cas du vieux fabricant de cercueil qui flotte entre deux mondes en se demandant quelle autre vie aurait pu être la sienne. Moins encore que les autres pièces de son auteur "Requiem" ne se laisse facilement apprivoiser. Il aura fallu la magnifique traduction de Laurence Sendrowicz, le décor de Thibaut Fack et - dit Cécile Backès - le concours inventif des acteurs Philippe Fretun, Maxime Le Gall, Félicien Juttner, Anne Le Guernec, François Macherey, Simon Pineau et Pascal Ternissien pour aboutir à un résultat aussi heureux. Du 12 au 14 mars Théâtre de Sartrouville et des Yvelinnes CDN tel 01 30 86 77 79 Du 18 au 20 mars La Comédie de L'est - CDN de Lorraine Du 5 au 9 mai Théâtre des Célestins - Lyon

dimanche 8 mars 2015

Ceux qui restent Conception David Lescot

Lorsque la Pologne tomba en 1939 sous la botte nazie Paul avait sept ans, sa cousine Wlodka, 12. Ils sont l'un et l'autre du petit nombre des témoins encore vivants des atrocités commises dans le ghetto de Varsovie avant qu'il ne fut liquidé et ses derniers habitants déportés à plein convois. Face à l'auteur dramatique David Lescot, ils ont rameuter des souvenirs que pendant des décennies ils furent incapables de partager. Paul est le fils d'un libre penseur, sa cousine celle d'un membre actif du Bund (mouvement révolutionnaire juif). Si les deux enfants purent échapper à une soldatesque exercée à l'insensibilité c'est que des jeunes évidement non juifs les aidèrent à travestir leur identité et leur trouvèrent des familles qui acceptaient, contre paiements, de les accueillir. Si quelques personnes leur portèrent secours la plupart, se souviennent-ils, étaient prêts à les dénoncer. Par haine des "youpins" et amour de l'argent. Malgré ce que Paul appelle "les couacs de la mémoire" il arrive à en rassembler des bribes. Alors que arrivé en France, où il grandit dans des maisons d'enfants de L'Union des Juifs pour la Résistance et l'entraide, il se taira. Jamais les petits regroupés dans ces lieux n'évoqueront leurs parents disparus, les épreuves qu'ils ont traversés. Il est plus tard devenu astrophysicien et a fondé une famille. A laquelle il s'est, sur vieux jours, mis à parler. A une époque où la vase remonte les témoignages de Paul et Wlodka ne peuvent qu'éclairer une jeunesse que des torrents d'informations peu fiables laissent désorientée. Et que ces paroles laissent, visiblement, sous le choc. Les interprétations d'Antoine Mathieu et Marie Desgrange, qui épaulés par David Lescot, se glissent dans la peau et les nerfs de Paul et de Wlodka, est de celles qui resteront gravées en nous. Jusqu'au 21 mars Théâtre de la Ville tel 01 4é 74 22 77

dimanche 1 mars 2015

Les larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder

C'est avec Les larmes amères de Petra von Kant, film qu'il réalisa en 1972, que Fassbinder se fit connaître en France. Si un grand nombre de ses oeuvres suivantes sont celles d'un créateur qui brossa avec rage, douleur et un sentiment d'extrême urgence une peinture de l'Allemagne de son temps (1945-1982), on considérait cet ouvrage de ses débuts trop maniéré pour compter parmi ses réussites. Thierry de Peretti, qui a eu la bonne idée de la monter, nous fait découvrir que l'excès de maquillages et de poses lascives des personnages du film cachaient un trésor. Petra von Kant est une styliste en vogue dont la vie amoureuse est un fiasco. Une fidèle femme à tout faire (Lolita Chammah), qu'elle houspille constamment, la suit comme son ombre.Surgit dans son appartement au décor de diva (conçu avec une visible délectation par Rudy Sabounghi)une créature dont la jeunesse refuse d'être asservie. Ce qui séduit Petra. Mais chez Fassbinder le ravissement d'aimer jamais ne dure. C'est en connaisseur qu'il décortique les comportements et sentiments de Petra, véritable championne de l'excès. Sa trop aimée finit par la fuir. Et l'impérieuse styliste de partir en vrille. Les visites de sa fille, d'une amie et de sa mère ne sont pas faites pour apaiser ses nerfs. Fassbinder qui eût une mère à qui il réussit (dans le film semi documentaire L'allemagne en automne) à faire avouer qu'elle appartenait au parti nazi, décrit des femmes - pour leur malheur et celui de leur entourage - sans homme et incapables d'égards vis à vis de leur propres enfants. Disons le tout net : l'interprétation de Valéria Bruni Tedeschi nous laisse subjugué. Cette comédienne, que le cinéma a contribué à faire connaître et apprécié mais qui fit peu de théâtre, joue avec un tel naturel qu'on pourrait croire qu'elle joue sa propre peau. Marisa Borini, sa vraie mère l'est aussi sur scène. Ce qui bien sûr avive le trouble dans laquelle nous plonge le spectacle. Thierry de Peretti, sans doute l'un des metteurs en scène les plus prometteurs de sa génération, a demandé à son complice de toujours, Sylvain Jacques, de lui concocter une bande musicale présente tout au long de la représentation. Son choix, qui comprend ses propres compositions et des extraits d'oeuvres les plus variées, est impérial. l'Oeuvre tel 01 44 53 88 88

jeudi 26 février 2015

The servant de Robin Maughan

Il a fallu à Thierry Harcourt un sacré cran pour oser s'attaquer à "The servant" pièce dont Harold Pinter tira en 1963 un scénario à partir duquel Joseph Losey réalisa un film qui provoque à chaque vision le même émerveillement. Il lui fallait aussi faire preuve d'un immense discernement pour trouver des comédiens qui jouent les rôles que tenaient à l'écran Dirk Bogarde et James Fox. En portant son choix sur Maxime d'Aboville et Xavier Lafitte, il ne s'est pas trompé. Revenu d'un long séjour en Afrique, Tony, un jeune lord engage pour tenir sa maison un valet de chambre prénommé Barett. Celui-ci se révèle un véritable génie du foyer. L'employeur ne tarde pas à être soigné aux petits oignons par son valet. Ce qui n'est pas fait pour lui déplaire. Pas plus que l'arrivée d'une nièce de Barret dont la jeunesse et l'impertinence déchaînent ses ardeurs. Petit à petit le maitre abandonne ses prérogatives à son domestique lequel lui fait goûter des plaisirs que réprouve la bonne société à laquelle il appartenait. Sa déchéance lui permet, en réalité, d'échapper au carcan de son milieu. Son meilleur ami (Adrien Melin impeccable), qui joue les aînés et tente de le faire revenir à la raison, cache, lui, sous son aspect lisse un lot de frustrations. Robin Maughan (auteur de la pièce et neveu du célèbre écrivain Somerset Maughan), avait à l'évidence le goût de l'équivoque mais aussi la haine de l'Angleterre huppée des années cinquante où le désir sexuel était méchamment brimé. Poche Montparnasse tel 01 45 44 50 21

lundi 23 février 2015

Au monde Opéra de Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat

La pièce de Joël Pommerat - créée il y a un an au Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles - se situe au sein d'une famille de la haute bourgeoisie industrielle. Comme il se doit les secrets et les non dits y sont innombrables. La plus jeune fille dont on célèbre l'anniversaire remplace une enfant disparue du vieil industriel. Le patriarche, qui semble perdre l'esprit, a décidé de confier la conduite de ses affaires à son deuxième fils. Celui-ci, qui a opté pour une carrière militaire, surgit après s'être fait longtemps attendre. Ce fils aux comportements inexplicables ne semble guère disposé à accepter l'héritage. Lequel ne rebute pas le mari de la soeur aînée peu regardant sur les moyens de servir son ambition. Un de ses moyens est d'introduire dans la place une femme qui restera un mystère. D'autant qu'elle parle une langue que personne ne comprend... Seule, la seconde fille, une vedette de la télévision, fait entendre combien l'inquiète l'évolution des membres du clan familial. La composition musicale de Philippe Boesmans épouse avec délicatesse l'écriture à la fois précise et sous tension de Joël Pommerat. Si l'orchestration est parfaitement réussie et les chanteurs admirable (on confessera une préférence d'amateur pour Charlotte Hellekant qui prête sa voix au personnage de la fille aînée et pour Philippe Sly qui prête la sienne au fils prodige) on regrette cependant de ne pas retrouver l'émotion que suscite les créations théâtrales de Pommerat. Sans doute le passage à l'opéra rend-t'elle la pièce un peu mécanique. Reste l' étrangère à la voix proférée ou hurlée (Ruth Olaizola) dont l'allure d'un équivoque extrême apporte depuis longtemps un charme vénéneux aux productions de Pommerat et qui, ici, évoque l'étrange visiteur joué par Terrence Stamp dans Théorême de Pasolini. Les 24,26, 27 Février Opéra Comique tel 08 25 01 01 23

lundi 16 février 2015

Des gens bien de David Lindsay-Abaire

La vie de Margaret est un combat. Toujours perdu. Virée pour ses innombrables retards de son boulot de caissière, elle n'en mène pas large. Poussée par ses deux copines de toujours, elle se décide à aller demander du taf à Mike son amour de jeunesse devenu un médecin en vue. Cet ex, qui a depuis longtemps quitté le quartier déshérité où elle vivote, trouve moyennement drôle de la voir débouler dans sa confortable maison. Sa femme, une superbe noire issue d'un milieu aisé se montre nettement plus accueillante. Margaret, qui a l'habitude de s'exprimer rondement ne se prive pas du plaisir d'évoquer quelques souvenirs plutôt cuisants. Mise en scène avec une réjouissante habileté par Anne Bourgeois cette comédie sociale - qui a fait un triomphe aux Etats Unis - provoque, en dépit d'une situation plutôt affligeante, constamment le rire. Miou-Miou, comédienne aimée du public, apporte le renfort de sa célébrité. On ne voit d'ailleurs pas quelle autre "vedette" de sa génération aurait pu jouer les prolos. A ses côtés Brigitte Catillon et Isabelle de Botton font preuve d'un abattage irrésistible. Les changements d'humeur et d'attitude de Patrick Catalifo sont ceux d'un comédien aussi riche de métier que d'intuition. Hébertot tel 01 43 87 23 23

mercredi 11 février 2015

Les estivants de Maxime Gorki

A l'instar de Tchekhov, Gorki dépeint ici une société de gens aisés (mais parfois issus de milieux modestes) dont les paroles sortent en flot. Mais il n'est pas comme l'auteur de La mouette attendri par tous ses personnages. Il n'éprouve de sympathie que pour ceux qui jugeant leur vie insipide ont soif de changements. Ils sont une dizaine qui se réunissent chaque été dans la propriété d'un homme de loi un brin véreux. Certains, d'humeur querelleuse, s'empaillent volontiers. L'un se délecte à s'enfoncer dans un marécage d'émotions, un autre se montre d'un cynisme qui ne peut que révolter une doctoresse à laquelle importe le sort des défavorisés. Cet humanisme militant est bien sûr celui de l'auteur avant la Révolution d'Octobre. En faisant de cette femme une passionaria aux discours trop enflammés c'est, on peut le supposer, de lui même qu'il se moque. Les artistes ne sont pas mieux lotis. La poétesse vit dans un monde qui n'existe que dans son imagination aussi débordante que fleur bleue. Un écrivain vénéré par la maîtresse de maison se révèle un piètre humain. Au fil des jours des ambitions nouvelles jaillissent, des amitiés décroissent, des amours naissent peut être sans lendemains. Comédien d'immense envergure, Gérard Desarthe se veut aussi depuis quelques années metteur en scène. Si la distribution est si parfaitement à l'unisson, c'est évidement qu'il a poussé chacun à son meilleur. Ses partenaires ne nous en voudront pas si l'on met l'accent sur l'interprétation de Sylvia Berger qui a peu fréquemment eu une telle occasion de montrer la finesse de son jeu. Jusqu'au 25 mai Comédie - Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

dimanche 8 février 2015

Ivanov d'Anton Tchekhov

Comme quasi toutes les pièces de Tchekhov "Ivanov" a pour cadre une province minée par l'ennui.Ivanov est un homme ruiné, qui n'a pour lui-même aucune considération et est marié à une femme juive pour laquelle il n'éprouve plus de sentiments et qui se meurt d'une tuberculose. Soir après soir il se rend dans un salon tenu par une femme d'une inimaginable ladrerie à laquelle il doit une importante somme de roubles. Le temps y passe au fil de futiles et souvent malveillantes conversations. La bassesse y régnerait en fait sans partage si n'y était présente Sachenka, la fille de la maison. Laquelle ne cache pas la tendresse que lui inspire son père alcoolique et l'amour que lui inspire Ivanov. Tchekhov prétendait écrire des comédies. Ce qui apparaît plus que rarement dans les mises en scène de ses pièces. Luc Bondy, cette fois à la manoeuvre, maîtrise élégamment les nombreux passages du drame au divertissement. Nombre de scènes sont assorties d'une touche d'humour. D'autres comme celle où, exaspéré par la passion que lui voue sa femme, Ivanov finit par la traiter de sale juive broient le coeur. Il sera évidement incapable de se pardonner ces mots. L'écrivain fait ressentir tout du long l'antisémitisme forcené qui régnait dans la Russie de son temps. Et qui semble-t-il n'a pas décru. Si certaines scènes comme celle où les convives se pressent dans la salle où se déroulent les noces d'Ivanov et de Sachenka prend vite l'allure d'une danse macabre d'autres sont mois réussies. La faute à quelques comédiens qui forcent la note. Micha Lescot incarne en revanche à la perfection le personnage central qui ressent si violemment le vide de son existence.Il n'est heureusement pas le seul qu'on a envie de couvrir de louanges. En priorité Marina Hands, Ariel Garcia Valdez et Laurent Grévil. Quant à la jeune Victoire Du Bois (Sachenka) sa présence est si radieuse qu'elle s'imprime d'emblée dans les mémoires. On ajoutera enfin qu'il n'est pas certains qu'en optant pour la première version (trop longue) écrite par Tchekhov Luc Bondy ait fait le bon choix. Jusqu'au 1er mars puis du 7 avril au 3 mai Odéon-Théâtre de l'Europe tel 01 44 85 40 40

samedi 24 janvier 2015

La maison d'à côté de Sharr White

On ne saurait trop recommander d'aller découvrir cette pièce de Sharr White, jeune auteur américain déjà en vogue dans son pays mais qui n'avait pas encore été monté en France. Juliana, le personnage central, est une scientifique qualifiée qui a breveté une molécule censée apaiser les tumultes intérieurs. Son incontinence verbale, les disjonctions de sa pensée, ses obsessions enragées envers une femme en bikini qu'elle a croisée sur un lieu de villégiature prouvent que ce traitement n'a sur sa personne aucun effet salutaire. Il apparaît, au fil de la représentation, que le passé, demeure, en ce qui la concerne, une plaie ouverte. Qu'elle est - en dépit des prévenances de son mari dont elle se dit séparée et d'une psychiatre sur le qui vive - sévèrement perchée. Ce passé qui deviendra de moins en moins nébuleux la tire par la manche. Au cours d'une scène d'une puissance déflagrante où se cristallisent toutes ses angoisses, elle s'introduit dans une maison qu'elle habita autrefois et qu'elle croit toujours sienne. La propriétaire est une jeune femme qui masque sous des apparences disons normales une personnalité sérieusement ébréchée.Si la pièce ne prête pas à la folle hilarité elle n'en est pas pour autant lugubre. On se surprend souvent à rire aux éclats. Cela grâce à la mise en scène toute en astuces de Philipe Adrien qui a, à de multiples reprises, montré que pour ce qui est de l'éloignement de la réalité il en connaît un bout. Le personnage de Juliana semble avoir été taillé à l'aune de Caroline Silhol. Tant elle y est à son affaire. Léna Bréban et Hervé Dubourjal font tout du long jeu égal avec elle. Une vidéo conçue avec une véritable empathie pour cet univers troublé par Jean Haas reflète étonnamment l'état mental de la femme dont est relaté l'itinéraire. THÉÂTRE DU petit ST-MARTIN tel 01 42 08 00 32

vendredi 16 janvier 2015

Nos serments. Texte Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos

Il fut un temps où le cinéaste Eric Roehmer réalisait des films où il mettait en scène et faisait parler (d'abondance!) des personnages qui avaient deux générations de moins que lui. Ils utilisaient évidement des mots qui auraient pu être les siens. Il y va tout autrement dans "Nos serments" où des acteurs (files et des garçons d'une vingtaines d'années) se retrouvent dans la peau et les nerfs de jeunes gens des années 70. Epoque que vécut Guy_Patrick Sainderichin, l'un des deux auteurs de la pièce, et au cours de laquelle il découvrit "La maman et la putain" film de Jean Eustache qui fut emblématique de ces années d'avant les portables, le web,l'obsession de la réussite sociale... A ses côtés, n'ayant pas besoin de puiser dans sa réserve de souvenirs, la jeune Julie Duclos avec laquelle il s'inspira des improvisations des comédiens pour fourbir dialogues et monologues intérieurs et qui dirige ceux qui, il y a peu, firent,souvent,avec elle leurs classes au conservatoire. Le récit est celui d'un homme qui après avoir vécu avec une femme disons un brin possessive, partage la vie d'une autre et s'autorise à vivre une histoire d'amour avec une infirmière polonaise récemment arrivée en France. On n'a, à ma connaissance jamais évoqué avec une tel naturel la liberté d'aimer qui provoqua dans les années d'avant le sida tant d'ivresse et d'effondrements Mélancolie et humour sont d'ailleurs du début à la fin du spectacle indémêlables. Une heureuse sélection de tubes de l'époque font fréquemment palpiter la représentation. On ne saurait assez louer les cinq interprètes (Maëlia Gentil, David Houri, Alix Riemer, Magdalena Malina et Yohann Lopez qui incarne une sorte de témoin pas neutre du tout des événements ) qui donnent à des personnages inactuels une vérité attachante. Le mot attachant est à l'évidence celui qui sied le mieux à ce spectacle fait de subtils allers retours entre théâtre et vidéo. Jusqu'au 14 février la Colline-théâtre national Tel 01 44 62 52 52

vendredi 9 janvier 2015

Sandre de Solenn Denis

Comme nombre de couples celui de la femme qui parle s'est décomposé. Sur les conseils de sa mère qui lui affirmait qu'on tient l'homme par l'estomac elle était pourtant devenue une sorte de fée du logis. L'arrivée de deux enfants n'empêcha pas non plus qu'il cessa de l'aimer et prit pour amante ... sa secrétaire. On le sait : tout cliché abrite une part de vérité. Elle garda le sourire, jamais ne donna libre cours à sa rancoeur. Puis passa à l'acte. Solenn Denis s'est mise à l'écoute d'une femme meurtrière. Ses paroles sont foisonnantes. De multiples voix s'échappent d'elle. Des examens psychiatriques attestent qu'elle n'est pas folle. Les sévices moraux qu'elle a subi en ont fait un personnage de tragédie. C'est un homme, Erwan Daouphars, acteur d'un talent consommé qui incarne cet être au bout du rouleau, hanté par ses souvenirs, inconsolable. La mise en scène est, dit Solenn Denis, collégiale. Le fruit de la prodigieuse ténacité du collectif Denisyak. Il n'en reste pas moins que l'écrivaine possède un style qui ne ressemble à celui de personne, un talent inné, une intuition qui laisse médusé. Jusqu'au 16 janvier Théâtre de La Loge 77, rue de Charonne Paris 75011 21h