lundi 24 novembre 2014

Dans la République du bonheur de Martin Crimp

Le spectacle s'ouvre sur une réunion familiale le soir de Noël. Les échange sont délicieusement houleux. Une des filles se réjouit de sa grossesse imprévue et irréfléchie. La grand mère rappelle de sa voix aux accents modulés combien il fait bon être riche. Le grand père tient à ce qu'on n'oublie pas qu'il passa dix années en taule. Son fils lui fait remarquer qu'il s'agit là de pures élucubrations. La seconde fille, qui fut deux fois mal mariée, se plaint des privilèges dont jouit sa soeur. L'harmonie qui jusque là régnait est mise à mal par l'arrivée impromptue d'un oncle qui d'abord d'une amabilité débordante à l'égard de chacun devient le porte parole de Madeleine, sa femme qui, dit-il, abhorre cette famille. Trouve chacun de ses membres d'une nullité absolue.La dame si pleine de hargne ne manque évidement pas d'apparaître. La deuxième partie de la représentation est on ne peut plus différente. L'atmosphère est rutilante. On assiste à une comédie musicale où, à l'inverse de celles à l'optimisme à toute épreuve de Broadway, chacun exprime sourire aux lèvres son mal de vivre, sa peur d'une société toujours plus sécurisante, autrement dit répressive. Des tableaux se succèdent qui annoncent la venue d'un temps où l'on vivra sous haute surveillance dans la république du bonheur. On songe, me faisait remarquer à la sortie l'auteur dramatique David Lescot, à l'album des Beatles "Sergent Pepper lonely heart " Il a particulièrement raison pour ce qui est du climat échevelé de cette tranche de la soirée. Mais si le célèbre quatuor avait le don de dynamiter la société anglaise de son époque, le tout aussi british Martin Crimp dépeint, à sa manière, elle aussi, débridée, un monde, le nôtre, qui joyeusement se disloque. Un couple reste au final seul en scène. Et il nous fait voir que la sexualité a, elle aussi, maille à partir avec notre époque où toutes les luttes se sont soldées par des interrogations nouvelles. Epaulé par Elise Vigier avec laquelle il signe la mise en scène et Leslie Kaplan qui a assuré la dramaturgie, Marcial Di Fonzo Bo a réussi un spectacle qui, après un démarrage faussement traditionnel sort avec entrain des sentiers battus. L'interprétation brille, quant à elle, de mille feux. Elle comprend outre Marcial Di fonzo Bo lui- même, Frédérique Loliée, Claude Degliame, Pierre Maillet, Jean-François Perrier et les jeunes Katell Daunis, Kathleen Dol et Julie Teuf. Du beau monde accompagné par un trio de sacrés musiciens. Jusqu'au 30 novembre Théâtre National de Chaillot tel 01 53 65 30 00

samedi 22 novembre 2014

Troyennes d'après Euripide

Avec cette première mise en scène d'une nouvelle et limpide traduction (signée Kevin Keiss) de la tragédie d'Euripide, Laëtitia Guédon se place parmi ceux avec lesquels le théâtre - que les pouvoirs publics voudraient faire croire mourant- de demain pourra compter. C'est avec un budget incroyablement modeste mais une passion démesurée et une équipe complice qu'elle est arrivée à mettre sur pied un des spectacles les plus chavirant de la saison. Poseïdon (incarné avec puissance par le slameur Blade Mc Ali M'Baye) ouvre le bal des damnées en décrivant la chute de Troie après dix ans de guerre et la rage de meurtre des conquérants grecs. Lui disparu, c'est Hécube (Marie Payen dont l'étoffe est celle d'une tragédienne), il y a peu reine de la cité, qui ployée sous un incommensurable désespoir prend la parole. Surgissent ensuite les autres femmes illustres de la cité écrasée (Lou Wenzel, Mounya Boudiaf, Valentine Vittoz)promises comme épouse ou esclaves des vainqueurs et dont le deuil jamais ne pourra se faire. Vient un instant de répit où cigarette aux lèvres et épaule contre épaule, Hécube et Andromaque, sa belle fille, se consolent l'une, l'autre. A une époque telle que celle que nous vivons où dans tant de régions de la planète des hommes peuvent libérer leurs pulsions meurtrières, la pièce d'Euripide résonne avec une force qui laisse anéantis. Mais subjugués par la beauté de la représentation. Jusqu'au 14 décembre Théâtre 13/Seine tel 01 45 88 62 22

jeudi 20 novembre 2014

George Dandin de Molière.

Roger Planchon qui au début de sa carrière mit en scène cette courte et cruelle pièce de Molière considérait qu'elle avait pour objet la lutte des castes. Il n'avait pas tort. Le riche paysan George Dandin a pris pour épouse, Angélique, fille d'un couple d'aristocrates ruinés. Il payera cher cette "mésalliance". Les Sotenville, ses beaux parents se goinfrent à ses frais et n'ont de cesse de l'humilier. Pourvu sur le plan des biens, il ne l'est ni sur celui du langage, ne sur celui des manières. Au cours d'une scène de repas particulièrement réussie, son manque de tenue donne l'occasion au couple de parasites à particules de lui faire entendre combien il leur est inférieur.Angelique, elle, se laisse conter fleurette par un "homme de qualité". Dandin s'emploiera, mais en vain à confondre sa jeune épouse qui douée d'une stupéfiante énergie verbale saura se tirer d'affaire. Elle se fait d'autant plus facilement passer pour une oie blanche aux yeux de ses parents que ceux-ci ne tiennent pas à ce qu'elle se sépare d'un mari aussi fortuné que Dandin. Celui-ci, victime d'un véritable trouble de la personnalité se verra contraint de présenter des excuses à celle qui l'a bafoué. Personne dans cette pièce, qui sous couvert de farce décrit la tragédie d'un homme qui croyait s'élever dans la hiérarchie sociale en liant sa vie à celle d'une jeune noble - n'est sympathique. Les discours que tient Angelique (qui peuvent sembler féministes avant la lettre) ne sont balancés que pour duper son époux. Le spectacle un peu trop sage bénéficie d'une scénographie (conçue par Eric Ruf) au départ surprenante et qui se révèle d'une belle efficacité. On retiendra aussi un final déchirant au cours duquel Simon Eine apparaît comme un double du vieux serviteur Firs que les habitants de la Cerisaie de Tchekhov ont oublié dans la demeure abandonnée. Jusqu'au 1er janvier Théâtre du vieux Colombier tel 01 44 39 87 00

dimanche 16 novembre 2014

La mission de Heiner Müller

A une époque où les illusions révolutionnaires étaient amplement partagées, les pièces d'Heiner Müller étaient fréquemment montées. Ce qui à présent qu'elles sont en déroute n'est évidement plus le cas. Peut être le sentiment qu'éprouvent aujourd'hui tant d'hommes et de femmes d'être réduits en esclavage par l'entreprise dans laquelle ils bossent ou tout simplement par le régime néo-libéral lequel considère les individus comme du menu fretin provoque-t-il un regain d'intérêt pour cet auteur majeur. La Mission s'ouvre sur le spectacle d'un homme (Debuisson)à l'élocution pâteuse. Il fut autrefois avec deux autres citoyens envoyés par la Convention en Matinique pour y faire disparaître l'esclavage. Que Napoléon a rétabli quelques années plus tard. Ses compagnons tués, Debuisson dialogue avec leurs ombres. Et avec un ange paré de la beauté d'une apparition. Les morts n'ont pas dit leurs derniers mots. L'un, descendant de déportés africains, en est arrivé à considérer que la "patrie des esclaves est le soulèvement", l'autre donne libre cours à sa rancoeur. On est propulsé dans un rêve lequel n'a que faire de la chronologie. Comme grand nombre de metteurs en scène allemands,Michael Thalheimer a une prédilection pour le grotesque inquiétant. Son spectacle est zébré de séquences burlesques. Ainsi celle où s'affrontent les chefs de file portant perruque extravagante de la révolution française.Un régal mais auquel certains trouveront à redire tant le texte est dense. Heiner Müller écrit par fragments ce qui fait la richesse de son propos mais le rend parfois obscur. Un décor signé Olaf Altman et le jeu d'une qualité hors pairs de Charlie Nelson, Jean-Baptiste Anoumon, Claude Duparfait, Noémie Develay-Ressiguier et Stefan Konarske contribuent à ce que ce spectacle d'accès peu aisé reste dans le souvenir. Jusqu'au 30 novembre La colline-théâtre national tel 01 42 62 52 52

jeudi 13 novembre 2014

Novocento d'Alessandro Baricco

André Dussollier passe dans le domaine du jeu pour orfèvre Mais après avoir des années durant obtenu (dans des films de l'importance de Mélo et On connaît la chanson d'Alain Resnais, Le beau mariage d'Eric Rohmer, Border Line de Daniele Dubroux ou Pour un oui ou pour un non de Jacques Doillon) des rôles dans lesquels il pouvait donner la mesure de son savoir-faire, il participe aujourd'hui à des longs métrages pour la plupart sans grande consistance. L'enregistrement d'un Amour de Swann comme plusieurs rôles au théâtre rappellent à ceux qui l'auraient oublié qu'il est un acteur majeur de sa génération. Il a, cette foi, eu l'heureuse idée de mettre en scène et d'interpréter Novocento de l'écrivain et musicologue italien Alessandro Baricco. Le personnage dont il raconte le parcours est né sur un bateau où il fut abandonné, à sa naissance par des parents sans doute démunis, dans une caisse posée sur un piano à queue. Au lieu d'être adopté par une famille fortunée, comme l'espéraient sans doute ses géniteurs, il grandit au milieu de l'équipage du bâtiment et devint pianiste. L'un des plus talentueux qui se puisse imaginer. Il navigua ainsi durant 32 ans sans jamais mettre pied à terre. Le monde des années 20 et 3O, durant lesquelles il était devenu adulte, lui faisait à juste titre peur. Le monde d'aujourd'hui lui, inspirerait, c'est sûr, de pareilles terreurs... Il accompagna ou plutôt stimula durant ces nombreuses années les musiciens chargés de distraire les passagers logés en première classe et qui ne se firent pas faute d'aller aussi agrémenter le voyage des moins favorisés de la fortune. Galvanisés par la présence du pianiste, ils excellaient dans tous les registres passant de Jean-Sébastien Bach au rag time.Leurs concerts se terminaient dans une apothéose d'applaudissements. Puis vint le temps où le paquebot parti à la ferraille. On doit à André Dussollier et aux quatre musiciens qui l'entourent un spectacle populaire dans le sens noble et hélas perdu du terme. Jusqu'au 6 décembre Théâtre du Rond - Point tel 01 44 95 98 21

lundi 10 novembre 2014

Trente - six nulles de salon de Daniel Cabanis

Le fou de mots qu'est Jacques Bonnaffé forme, cette fois, tandem avec Olivier Saladin. Et l'on assiste à un ping-pong verbal où les deux comparses font leur miel de rumeurs. Remâcher des histoires de voisinage ne leur suffit pourtant pas. Comme ils possèdent tous deux l'esprit de répartie ils s'envoient avec délice des piques. Une phrase de l'un met l'autre à cran. Jamais en manque de vannes, ils font preuve pour mettre l'autre K.O. d'un imaginaire débridé. Leurs acrimonies, ils les ressassent en transformant constamment un décor étrangement enrubanné. Le spectacle, vu à la première représentation parisienne, nécessite encore quelques réglages. Il est fort à parier qu'il sera sous peu délectable. Jusqu'au 6 décembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

mercredi 5 novembre 2014

By heart Performance de Tiago Rodrigues

A une époque où les richesses se concentrent chez une minorité et où par, voie de conséquences, les budgets accordés à la culture diminuent de façon drastique de jeunes artistes portugais inventent des outils de création inédits. Ainsi Tiago Rodrigues qui à 37 ans vient d'être nommé directeur du Théâtre national de Lisbonne. D'abord seul en scène cet auteur et metteur en scène, à propos duquel on ose parler d'engagement poétique, se retrouve, par une astuce qu'on ne dévoilera pas, entouré de dix comparses. Et le spectateur de (re)découvrir la splendeur des sonnets de Shakespeare, ou des vers de Mandelstam Point du tout effrayé par la mauvaise réputation qu'a aujourd'hui la pensée, il se réfère à celle si percutante de l'essayiste de la littérature George Steiner. Et, raconte entre autres histoires, celles bien réelles mais qui frôlent avec l'indicible de Nadejda Mandelstam ou de sa propre grand mère qui, comme le fit l'écrivain Ray Bradburry dans "Farenheit 451", trouvèrent le moyen d'empêcher que disparaissent par le feu ou de leur mémoire des écrits qu'ils chérissent. Et sur lesquels on a, à l'issue de la représentation, l'envie irrépressible de se précipiter; Jusqu'au 14 novembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14