samedi 29 janvier 2011

Diplomatie de Cyril Gely

En 1944 le général allemand Dietrich von Cholniz, qui avait au début de la guerre fait de Sébastopol un champs de ruines, est placé par Hitler au commandement de la place de Paris. Il avait reçu du führer l'ordre de faire sauter la ville si les armées allées s'en approchaient. Ce qu'il s'apprêtait à faire. Raoul Nordling était , pour sa part, consul général de Suède et s'évertua à faire échouer ce plan né dans le cerveau d'un homme atteint de démence.

Cyril Gely a eu la riche idée d'imaginer la confrontation de ces deux hommes dans une chambre de l'hôtel Meurisse quelques minutes avant que l'officier ne mette son projet à exécution. Jouant avec la maestria qu'on lui connaît la fausse désinvolture, André Dussollier est impeccable. Jamais il ne se laisse démonter par son adversaire, qui veut encore se persuader que le Reich ne peut être défait, et pointe sur lui une arme ou des yeux aiguisés comme des couteaux. Quand à Niels Arestrup, il aura rarement eu au théâtre une telle occasion de montrer l'étendue de ses capacités (si ce n'est il y a bien longtemps dans La cerisaie de Tchekhov mise en scène par Peter Brook). Avec sa voix chargée d'orages et un accent germanique parfaitement imité, il apparaît au départ comme l'exemple même du nazi étranger à tout état d'âme. On verra par la suite que son cas est infiniment plus complexe et que sa rigidité dogmatique n' avait pas pour seul fondements son aliénation à une idéologie criminelle. On aura compris qu'il se révèle dans ce spectacle aussi grand comédien que dans les films de Jacques Audiard.

Stephan Meldegg n'est certes pas un grand réformateur du théâtre. Mais avec cette pièce d'une belle tenue, il a fait de la bien belle ouvrage.

Théâtre Madeleine tel 01 42 65 06 28

dimanche 23 janvier 2011

La maladie de la famille M de Fausto Paravidino

Leader du jeune théâtre transalpin, Fausto Paravidino, 34 ans, n'a pas seulement la furie d'écrire il est aussi acteur, metteur en scène et traducteur entre autres de Shakespeare et de Pinter. Il fut révélé au public français grâce à Stanislas Nordey qui monta au TNB de Rennes puis au Théâtre Ouvert à Paris, Gênes 01 qui décrivait la répression sanglante des forces de police du cavalière contre les manifestants lors du sommet du G8 en 2001.

Il se penche cette fois, via les commentaires parfois amusés souvent navrés d'un médecin de campagne, sur une famille dont chaque membre affronte l'adversité à sa manière. Le père a la mémoire qui s'étiole mais le souvenir de sa femme revient constamment marauder dans ses pensées, la fille aînée est devenue la vigie de la maisonnée, la cadette dont la vie amoureuse est une suite de quiproquos tragiques a le coeur chamboulé tandis que le benjamin, avec la vivacité d'une jeunesse qui se cherche, parle à n'en plus pouvoir. Comme dans toutes les familles qui se respectent - ou plutôt ne se respectent pas!- chacun moleste verbalement les autres. La situation s'envenime quand il apparaît que deux voisins, amis jusqu'alors inséparables, sont épris (l'un depuis belle lurette, l'autre tout récemment) de la plus jeune des filles.

Le jeune metteur en scène a le don d'empoigner le réel et de lui donner une touche d'irréalité. Notamment par la magie d'un décor, signé Laura Benzi, qui nous immerge dans une campagne où les changements de saison ont une influence décisive sur les comportements des protagonistes. Ceux-ci sont joués on ne peut mieux par Pierre-Louis Calixte, Christian Blanc, Marie- Sophie Ferdane, Benjamin Jungers, Suliane Brahim, Näzim Boudjenah et le nouveau venu Félicien Juttner.

La preuve que La Comédie Française a encore dans son sein des comédiens d'un talent qui, sous la houlette d'un metteur en scène digne de ce nom, s'exprime avec éclat.

L'Arche est éditeur du texte.

Jusqu'au 20 fév Théâtre du Vieux-Colombier; tel O1 44 39 87 00

vendredi 21 janvier 2011

Caligula d'Albert Camus

"J'irais décrocher la lune si tu me le demandais" chantait Edith Piaf dans L'hymne à l'amour, l'un de ses plus grands succès. Dans la pièce de Camus l'empereur Caligula demande à son plus fidèle serviteur de lui apporter la lune. Est-il pour autant victime d'une désintégration mentale? Oui et non. En proie à d'éprouvantes insomnies ses sautes d'humeur le poussaient à lancer des mots comme on lance des pierres. Ses cibles favorites étaient les courtisans dégoulinant de suavité. Fouler aux pieds leur dignité était son passe temps favori. Sa conduite atteignait souvent des paroxysmes de cruauté puisqu'il n'hésitait pas à contraindre la femme de l'un à coucher avec lui, à faire exécuter le fils d'un autre, le père d'un troisième...

Son goût de la bouffonnerie, comme l'écrit très pertinemment le bâtisseur du spectacle Stéphane Olivié Bisson (fils de Jean-Pierre Bisson qui fut lui aussi un metteur en scène mais également un comédien de première force) l'incite à organiser des fêtes belliqueuses au cours desquelles il lui arrive de se travestir en un dieu de l'Olympe. Faisant ainsi une pitoyable démonstration de sa toute puissance. Seul Cherea (Gauthier Baillot admirable de sobriété), qui fomente son assassinat, a deviné que tout fringant qu'il soit son désespoir n'en est pas moins réel. Il le sait d'autant mieux qu'il éprouve des pulsions semblables à celles du tyran mais que contrairement à lui il les maîtrise. Ce qui est pareillement le cas du jeune poète Scipion qui, lui, choisira l'exil.

Stéphane Olivié Bisson a le don pour trouver le point de jonction entre entre un acteur et un rôle. Caligula est incarné par Bruno Putzulu, qui mieux qu'aucun acteur de sa génération a l'art de marier une lucidité aigüe à un trouble du cours de la pensée. Bien que par endroit datée, la pièce de Camus qui avait plutôt mauvaise réputation apparaît - du moins dans sa première version choisie par Bisson - d'une puissante intelligence. L'écrivain sait , comme le saura plus tard Pasolini, que de coriaces démons habitent tout un chacun. La seule réserve que nous inspire ce spectacle - dont la musique de Jean-Marie Sénia qui l'accompagne est une splendeur - sont les costumes qui, à l'exception de ceux de Caligula dont le baroque rappelle les péplums italiens, sont si hideux qu'ils humilient ceux qui les portent.

Jusqu'au 5 Fév Athénée tel 01 53 05 19 19

dimanche 16 janvier 2011

Absinthe de Pierre-Yves Chapalain

Il faut être de bien mauvaise foi pour prétendre qu'il y a en France un déficit de jeunes auteurs de théâtre. Il suffit d'aller ces jours-ci au théâtre de La Bastille pour découvrir" Identité" par Gérard Watkins ou" Absinthe" par Pierre-Yves Chapalain pour être convaincu que le talent n'appartient pas qu'aux vieux loups des lettres. L'auteur d'Absinthe - nom d'une jeune fille qui est aussi celui d'une liqueur qui rend fou - met en scène un cercle familial à première vue dénué d'aspérités qui se révèle être un lieu de chaos.

La fille de la maison prend conscience que sa vie est atrophiée par des non dits. A la surprise de sa parentèle son comportement change. Des voix qui emplissent ses nuits lui font comprendre qu'Il lui faut mettre au jour des zones ignorées du passé. Mais elle n'obtient aucune information de sa mère barricadée dans le silence et le déni. Le feu de la discorde se propage entre son frère et elle

Arrivent deux amies de la mère que celle-ci loge dans sa cave. L'une des deux lui offre des clés qui, on le comprendra vite, sont celles des enfers.Et les visiteuses de faire songer aux Erynies. Plus ça va, plus on sent dans ce texte d 'une saisissante puissance poétique des relents de tragédie antique. Investigateur de l'invisible qui creuse avec vigueur son propre style, Pierre-Yves Chapalain - dont vit l'an dernier La lettre jouée par les mêmes comédiens qui rivalisent de justesse - a, c'est l'évidence, une sacrée connaissance des ressorts de l'esprit humain.

Le prodige est que la pièce est, du moins à ses débuts, d'une innovante légèreté. Elle restera dans les mémoires de tous ceux dont la vie est encombrée d'héritages maudits comme un pincement au coeur

Ce texte si riche de secrets est paru aux éditions Les solitaires intempestifs

Jusqu'au 11février Théâre de la Bastille tel OI 43 57 42 14

mardi 11 janvier 2011

Identité de Gérard Watkins

A ses débuts dans la mise en scène l'acteur Gérard Watkins écrivait avec la passion d'un néophyte d'amples fresques d'un faste verbal parfois épuisant. Il a aujourd'hui changé de style. Identité, sa dernière création, n'est jouée que par deux acteurs : Fabien Orcier et Anne-Lise Heimburger qui étaient déjà de ses précédents spectacles. Comme le firent autrefois Lars Von Trier et consorts en inventant la théorie du dogme, Gérard Watkins s'est imposé de rigoureuses contraintes. Unité de lieu. Pas d'entrée ni de sortie des personnages. Quasi aucun élément de décor. Une seule source de lumière. Pas de noirs entre les scènes.

Digne fils de son père, le réalisateur britannique Peter Watkins (à qui l'on doit notamment ces somptueux brûlots que sont La Bombe, Punishment park et Edward Munch, la danse de la vie), il est bien décidé à dénoncer au lance flamme un monde toujours plus favorable aux nantis. Ses deux personnages sont des déclasssés. Elle a pris le parti de faire la grève de la faim, tandis que lui s'accroche à une chimère.

Ayant découvert sur une bouteille de vinasse qu'ils peuvent empocher de l'argent en répondant à une question, il ne songe qu'à tenter sa chance. Etant par ailleurs tous deux d'une impérieuse lucidité, ils dissèquent, en s'empoignant régulièrement, les temps abjects qu'on vit. Indignés par l'amendement qui rend légal les recherches sur l'ADN imposés à certains étrangers, le metteur en scène rappelle par la voix de sa comédienne les lois raciales édictées en 1940 sous Pétain. Etaient considérés comme juifs ceux qui avaient trois grands parents qui étaient de cette origine ou seulement deux si leur conjoint appartenait à la "race" honnie. Impossible de ne pas tracer de parallèles troublants avec notre époque d'autant que Sarkozy a depuis la création de la pièce eu l'infamie de mettre les Roms au ban de la société

Ce gros plan d'un couple représentatif de notre époque tantôt fait sourire, tantôt noue les tripes tant la mise en scène tient fermement le cap.

Jusqu'au 11 février Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14.

samedi 8 janvier 2011

Les mamelles de Tirésias de Francis Poulenc

Une fois n'est pas coutume : la nomination de Macha Makeïeff à la tête du Théâtre de La Criée de Marseille est on ne peut plus justifiée. Cette metteuse en scène a , en effet un culot qui manque à la plupart de ses pairs. A preuve ces réjouissantes Mamelles de Tirésias où avant de faire entendre l'oeuvre que Francis Poulenc, inspiré par le poème de Guillaume Apollinaire, mit en musique, elle fait débuter le spectacle par un Foxtrot peu emballant de Chostakovitch et par Le boeuf sur le toit, une merveille signée Darius Milhaud.

Si le texte d'Apolinaire est -on l'avait pour la plupart oublié - prodigieux avec son appel à toutes les combinaisons sexuelles possibles (les changements de sexe sont glorifiés!), et la conscience aigüe, puisque la Grande Boucherie se profile qui saignera le pays de ses forces vives, qu'il faut faire des enfants... Makeïef a opté pour un style endiablé. Elle nous projette dans un cirque à Zanzibar avec une troupe nombreuse où l'on croise une sosie de Josephine Baker (qui faute de donner naissance à des enfants en adopta en quantité) des acrobates qui arborent leurs muscles, des femmes aux rondeurs affolantes, un cheval espiègle, des bouffons lunaires, des travestis et une faunes d'olibrius. Tout ce petit monde joue avec une énergie drôlatique. On songe à Fellini et en particulier à son film Les clowns.

Des chanteurs d'élite complètent le tableau. La seule réserve que nous inspire ce superbe fourbi est que le tragique en soit évacué. Comme la période qu'évoque Appolinaire (celle de la Grande Guerre) comme celle où Poulenc compose son oeuvre (1945) sont des temps de ténèbres, on ne peut que regretter que celle qui tient avec tant de talent le gouvernail n'ait pas mélangé le tragique au trépidant. Dernière réserve que l'on fera sur cette représentation d'un niveau par ailleurs exceptionnel est la multiplication parfois inutiles de trouvailles visuelles. L'écran sur lequel sont projetés des images de guerre est devenu dans le théâtre actuel un cliché. Si l'on pointe ces quelques restrictions c'est évidement parce que cette création est d'une telle force qu'on la rêverais sans l'ombre d'un défaut.

Jusqu'au 21 janvier Opéra Comique tel O8 25 01 01 23 jeune public : 01 42 44 45 76

vendredi 7 janvier 2011

Le visage émerveillé d'Anna de Noailles

Difficile de ne pas songer aux fabuleuse Lettes de la religieuse portugaise en écoutant ce texte d'Anna de Noailles, étoile des lettres françaises un peu tombée dans l'oubli.Adapté avec une touchante subtilité pour la scène par Ludovic Michel et monté avec raffinement par Thierry Harcourt, ce récit est celui d'une jeune fille, qui, pour fuir une vie familiale sans chaleur, est entrée au couvent. Lieu qu'elle trouve doux et royal. Jusqu'à ce que sa rencontre dans l'enceinte de l'église avec un jeune peintre visiblement subjugué par elle lui mette la tête en feu.

Fou de passion, il arrive à rentrer la nuit, à pas étouffés, dans la chambre de sa bien aimée. Commentatrice candide de ses émotions et pensées, elle n'éprouvera un sentiment de culpabilité que lorsqu'il nouera ses lèvres aux siennes. Mais elle ne tarde pas à évoqué le trouble que sa présence provoque en elle de " tendre tempête". Elle a par ailleurs le plus grand mal à saisir que cet homme si délicat se dise panthéiste et n'ait que mépris pour les religions établies.

L'admiration éperdue qu'elle voue à la mère supérieure aura sur la novice une influence déterminante. Cette femme, qui finit par se livrer jusqu'à l'intime à sa protégée, la pousse à quitter les ordres. Voyant en elle une personnalité en devenir, elle ne veut pas quelle devienne à son exemple un être fissuré. Anna de Noailles qui eût durant plus de vingt ans une correspondance passionnée avec Maurice Barrès avec lequel elle ne partageait aucune conviction et dont elle réussit à ce qu'il ne vote pas pour l'exécution du capitaine Dreyfus, savait ce qu'étaient des sentiments irrationnels.

Entourée pour tout décor d'un tableau noir en forme de triptyque sur lequel elle écrit et dessine, Lee Fou Messica a conservé une part d'enfance qui sied on ne peut mieux à son rôle. Comme à son habitude Christian Gasc lui a façonné un costume d'une insolite beauté.

Juqu'au 26 février Les déchargeurs tel 08 92 70 12 28

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