mercredi 27 novembre 2019

La magie lente de Denis Lachaud

La psychanalyse est une magie lente écrivit Freud. Constatation que confirme ce spectacle joué par Benoit Giros mis en scène avec une invention et une finesse de tous les instants par Pierre  Notte. Mécontent  que ses visites depuis dix ans à un psychiatre ne lui ont apporté aucun soulagement, un patient se rend chez un autre docteur de l'âme. Celui-ci ne tarde pas déconstruire le diagnostic de son ancien praticien qui le considérait comme schizophrène et lui prescrivait des médicaments censés apaiser cette psychose. Le psychanalyste arrive  en  faisant jaillir de sa bouche des mots qui en disent long sur une détresse restée dans l'ombre à le mettre face au traumatisme qu'il subit dans son enfance.  Ses souvenirs deviennent de plus en plus vivaces. Il comprend petit à petit que le silence dans lequel il a baigné de la part de ceux qui auraient dû  y voir clair fut meurtrier. Bien que profondément déprimé et accablé de culpabilité, cet homme a réussi à se marier à une femme qu'il aime et est père de deux enfants. En faisant remonter  des grands fonds des souvenirs cuisants, il prend possession de sa personne. Il devient évident qu'il n'est pas psychotique mais gravement névrosé. Après ce qu'il a subi et on le serait à moins. Puisqu'il est question de mots, j'ose écrire que je n'en trouve pas pour qualifier le jeu de Benôît Giros (qui joue le psy et son patient)  tant il dépasse ceux, louangeur,  habituellement utilisés.  Partant d'un texte en tous points saisissants de justesse de Denis Lachaud, le metteur en scène et le comédien ont créé un spectacle qui, chose exceptionnelle, nous plonge dans la sidération.  Jusqu'au 7 décembre Théâtre Paris-Villette tél 01 40 03 72 23

samedi 23 novembre 2019

Une des dernières soirées de carnaval de Carlo Goldoni

L'extraordinaire fortune de Carlo Goldoni (1707-1793) auprès du public ne décroît pas. C'est qu'il croque  la société de son temps  avec un mélange de finesse  et de drôlerie qui force l'admiration et nous en apprend beaucoup sur les moeurs des marchands et artisans vénitiens. La pièce a pour cadre la maison d'un aimable tisserand dont la fille s'est éprise d'un  jouvenceau blond comme les blés. Ce qui ne fait pas l'affaire du papa, un veuf  qui ne veut à aucun prix que la jeune fille suive son amoureux à Moscou où il va améliorer ses  connaissances professionnelles. Au cours d'une soirée où l'on célèbre le carnaval  des invités arrivent en nombre. Parmi eux un couple de jeunes mariés qui n'ont d'yeux que l'un pour l'autre, l'homme de confiance plutôt mal embouché de l'hôte, une française pleine aux as, veuve de trois maris  qui n'a pas renoncé à s'en trouver un quatrième et une prénommée Alba qui tantôt souffre de mille maux, tantôt ne songe qu'à s'amuser. Son mari, commet , comme beaucoup d'homme dépeint par Goldoni, l'erreur d'être aux petits soins pour celle qui n'est que caprices. Force est de reconnaître que  les femmes sont infiniment mieux caractérisées que la plupart des hommes. La mise en scène de Clément Hervieu-Léger est d'un tel tonus qu'on suit amusés de bout en bout le déroulement de la fête. Laquelle se clôt sur une séquence chantée et dansée qui là met  carrément en joie. Jusqu'au 29 novembre Théâtre des Bouffes du Nord tél 01 46 07  34 50

vendredi 22 novembre 2019

Mephisto (Rhapsodie) Mise en scène Jean-Pierre Baro

Comédien d'un talent dit-on hors du commun, Gustaf Grüdgrens fréquenta avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir l'avant garde artistique et intellectuelle de son pays. Il fut aussi l'amant de Klauss Mann dont il épousa Erika, la soeur. Au grand dam de ses anciens proches, il fit allégeance au nazisme quand ceux-ci triomphèrent.Klauss Mann relata son sinueux  parcours dans son livre Méphisto. Lequel a été actualisé par le metteur en scène Jean-Pierre Baro et l'écrivain Samuel Gallet. Le spectacle  se situe dans la période de déliquescence sociale et politique que nous traversons.  Les acteurs d'une troupe de province sont divisés entre tenants d'un théâtre engagé et fervents du répertoire classique. Aimeric Dupré, l'un des comédiens les plus talentueux de la troupe est  si remonté contre l'un de ses partenaire, membre d'un parti qui attise la haine des étrangers, que leur discussion tourne à la rixe. Avide de gloire, il prend la décision de monter  à la capitale où il devient peu à peu  un acteur populaire que les  discours de ceux qui veulent reconstruire le pays réel, c'est - à dire les suprémacistes blancs, ne le choquent plus. Il continuera, se persuade t'il, à lutter de l'intérieur. Il ne changera plus d'attitude même lorsque certains de ses anciens proches sont victimes  de l'idéologie mortifère désormais victorieuse. Sur le plan de la mise en scène Jean-Pierre Baro fait preuve d'un telle maîtrise que le spectacle devient une chambre d'écho du monde tel qu'il se profile. Jean-Pierre Baro, sur qui pèsent des soupçons aussi lourds que sur Polansky, n'a aujourd'hui guère la cote. Considérant que confondre les métiers de journaliste et  de juge peuvent aboutir à un déni de justice je me contente de constater que cet homme de théâtre fait preuve d'un métier sûr  et dirige ses acteurs (Guillaume Alladi Mireille Roussel, Pauline Parigot,Tonin Palazzotto... ) avec doigté.  Jusqu'au 1er décembre Théâtre des quartiers d'Ivry tél 01 43 9O 11 11

samedi 16 novembre 2019

Vents contraires Texte et mise en scène Jean-René Lemoine.

Dès la première scène au cours de laquelle Marie (Nathalie Richard) se désole de la fadeur de sa vie et reproche à Rodolphe, son amant (Alex Descas) ses comportements  et son langage sans surprises, on se trouve face à des êtres qui veulent coûte que coûte  changer le cours de leur existence et à d'autres que ce désir anéanti. Mais pour aller sa route à  sa guise, Marie a besoin de trouver de l'argent. Leila (Anne Alvaro) qui, était il y a peu une styliste à succès évidement pourvue de biens n'est à présent plus dans la course.  Pour se remettre à flot il lui faut à elle aussi trouver du pognon. Or Marthe (Norah Krief) la demie soeur de sa compagne (Marie-Laure Crochant) a hérité d'une fortune...  Sa rencontre amoureuse avec Salomé (Océane Cairaty), une jeune femme  résolue, incarnant une jeunesse pour qui  compte en priorité la réussite, va avoir de sérieuses répercussions sur son avenir. Après avoir écrit, joué  et monté deux superbes monologues, Jean-René Lemoine, ausculte d'implacable façon un monde,  où l'argent,  même chez ceux qui sont en proie à des sentiments dévastateurs,  est immanquablement présent.  Bien qu'elle  baigne dans un climat houleux et nous met face à des personnages gravement endommagés, la pièce  provoque sans cesse le rire. Il est vrai que les six comédiens ont des présences qui en imposent et savent passer, sans avoir l'air d'y toucher, de la  gravité à la légèreté. Jusqu'au 24 novembre MC93 Bobigny tél 0 41 60 72 72

dimanche 10 novembre 2019

21, Rue des sources. Texte et mise en scène Philippe Minyana

Ecrivain de théâtre et non des moindres, Philippe Minyana n'a jamais fait mystère de sa hantise du passé. Accompagnée de l'Ami, Nadine se retrouve dans la maison où elle a passée sa vie. Sans nostalgie mais avec parfois des accès d'acrimonie le fantôme qu'elle est devenue s'éveille à ses souvenirs. Lesquels ne sont pour la plupart guère réjouissants. Sa mère tenait, avec l'aide de ses trois filles, une épicerie. Au cours de la visite des pièces du petit immeuble que son père a construit et dont elle souligne la laideur, elle s'enquière auprès de l'Ami du sort de ceux qu'elle a connus. La plupart ne sont plus de ce monde, d'autres sont en maison de retraite. Peu d'entre eux échappent à sa hargne. Le parler aigre que Minyana manie avec un art consommé suscite fréquemment le rire.  Le climat s'adoucit aussi à l'évocation  de moments heureux. Tel, pour Nadine, la nuit où sa mère la fit descendre à la cave voir son père fabriquer de la gnôle.L'Ami, lui se remémore du bonheur que lui procuraient ses ballades en solitaire dans la campagne. Les deux comparses font tout du long des allers et venues dans le temps. L'histoire de chacun est marquée par les évolutions de la société. Nadine se maria. Son couple fut aussi mal assorti que celui de ses parents. Elle eût trois enfants qu'elle étouffa, surtout  l'aîné, de son amour.  Sa progéniture partie, sa peine à vivre se fit plus grande. Elle fit plusieurs tentative de suicide. Finit par arriver à ses fins. Si malgré la poisse dont il est constamment question le spectacle enchante c'est que l'auteur-metteur en scène a trouvé en Laurent Charpentier et Catherine Matisse des comédiens bluffants de savoir-faire. Il est vrai qu'il est réputé pour diriger ses interprètes avec un rare brio. La pièce, on l'aura saisi, est quant à elle une véritable perle. Jusqu'au 1er décembre Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21.

mercredi 6 novembre 2019

J'ai des doutes Textes de Raymond Devos. Spectacle de François Morel

Je hais les haies, les murs qui enferment disait Raymond Devos qui savait que l'absence de liberté met à mal la possibilité de se construire une vie intérieure. Il avait trouvé à travers ses sketchs, que se réapproprie avec un poésie aussi craquante que la sienne François Morel, le moyen de s'échapper et de faire planer le public. La filiation entre les deux artistes est particulièrement heureuse. Comme Devos, Morel a à ses côtés, le plus souvent au piano, un complice. Si le premier prenait son partenaire fréquemment à parti, le second a plutôt tendance à le valoriser. Il est vrai qu'Antoine Sahler (en alternance avec Romain Lemire) est un interprète accompli. Et à l'instar de Morel un sacrément bon musicien. Le spectacle est émaillé d'irrésistibles transitions musicales. Si Devos avait un phrasé si peu ordinaire qu'il ne peut s'oublier, Morel se sert, pour sa part, d'une voix souvent tonitruante et de bidonnantes grimaces. Et l'on retrouve l'art consommé de jongler avec les mots de l'humoriste qui, il y a dix ans, a pris la poudre d'escampette. Nous laissant en héritage des moments de grâce tel celui, où comme dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, il raconte comment il caressa la main d'une belle femme puis d'une autre moins attrayante et enfin d'une troisième qui la lui laissa. Un spectacle qui rappelle que l'absurde (mot qu'on accola à l'univers de Devos) n'est pas creux. On le quitte ragaillardi. Jusqu'au 5 janvier La Scala tél 01 40 03 44 30