mardi 26 novembre 2013

Mettre en scène

Ses derniers jours en témoignent : la moisson de Mettre en scène, festival créé par François Le Pillouër, directeur depuis 1994 du Théâtre National de Bretagne, a, une fois encore, été revigorante. Si Passim de François Tanguy, La mouette de Tchekhov montée par Yann Joël Collin et Henry VI de Shakespeare à laquelle s'est confronté Thomas Jolly ont, au début de la manifestation, créés l'événement, la suite fut tout aussi enthousiasmante. Grâce notamment à Cédric Gourmelon qui dans Au bord du gouffre réunit plusieurs textes de David Wojnarowicz qu'il interprète avec une fureur au départ  contenue, plus tard implacable.

Mal remis d'une enfance exceptionnellement  sombre, il devint, après avoir connu le trottoir, un des artistes les plus apprécié de l'East village new yorkais des années 80. Ses oeuvres graphiques furent exposées dans des galeries tant américaines qu'européennes. Ses écrits dans lesquels il mit, avec une déchirante ferveur, le cap au pire sont d'un auteur du même bord que Herbert Selby ou Williams Burroughs La manière dont furent considérés pendant les mandats de Reagan les malades du sida (auquel il succomba lui aussi)  lui mirent les nerfs et l'écriture à vif.

Fräulein Julie librement adaptée de la pièce d'August Strinberg est mis en scène par Katie Mitchell qui, ne trouvant pas dans son Angleterre natale les financements pour ses projets - qui mêlent, depuis qu'elle collabore avec le vidéaste Leo Warner, comédiens, équipe de tournage et autres artisans de l'art, - crée dorénavant ses spectacles en Allemagne. Le récit de la funeste passion érotique qu'éprouve la fille d'un aristocrate pour un valet se déroule  ici sous le regard de Kristin, la servante. L'utilisation en direct d'une  caméra vidéo a pour effet que chaque séquence est détaillée sur grand écran. Le spectateur se trouve de ce fait au plus prés des gestes et des sensations des trois personnages. Lesquels sont joués par des membres de la troupe de la Schaubühne de Berlin. Qui ne semble être  constituée que de pointures. La cruauté du climat et des rapports n'est pas sans rappeler celle des oeuvres de Fassbinder

La relève de ces comédiens de première force semble d'ores et déjà assurée par les élèves de l'école  Ernst Busch de Berlin, fondée en 1905 et qui  n'a rien perdu de son prestige. Dirigés par Peter Kleinert huit acteurs novices mais au métier déjà sûr jouent une foule de rôles dans Sainte Jeanne des Abattoirs où Bertold Brecht décrit l'irrésistible ascension puis la chute de Pierpont Mauler, le magnat des abattoirs. Ce spectacle choral a pour cadre  une Amérique à la dérive qui ressemble comme deux gouttes d'eau à l'Allemagne de Weimar.  Nombreux sont ceux qui ont dévalé l'échelle sociale. L'homme d'affaire voit dans ce périlleux contexte  l'occasion de faire fortune. Les chapeaux noirs, une armée de personnes charitables, celle de semer la bonne parole. Jeanne, l'une des leurs saisit combien leur action est trompeuse. Et de se sacrifier à la cause des  miséreux. Le constat que fait Brecht est, on le voit, d'une actualité désespérante... Le public ne s'y est pas trompé qui a fait à ce travail d'école un accueil triomphal.

Mettre en scène tel 02 99 31 12 31
Au bord du gouffre pourra être vu les 4 et 5 avril 2014 à la Manufacture  Atlantique (Bordeaux)


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