lundi 10 novembre 2008

Conversation avec Jean-Yves et Eric Ruf

Mesure pour mesure est une pièce qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. Jean-Yves Ruf qui a une prédilection pour les textes peu faits pour la scène et a déjà fréquenté Shakespeare en montant Comme il vous plaira y va de tout son talent et gagne la partie. Pour interpréter Angelo qui, pour un temps indécis, remplace à la tête du pays, son cousin, le duc, il a fait appel à son frère Eric Ruf, sociétaire de la Comédie française. Les frangins qui disent être des hommes taiseux (ils se sont au départ consacré à des activités solitaires puisque le premier fut à ses débuts hautboitiste et que le second eut pour première passion le dessin) ont tous deux choisis les planches afin de partager avec d'autres leurs émotions. 

Ce qui m' a attiré dans Mesure pour mesure dit Jean-Yves est qu'elle soit dans sa structure une sorte de monstre qui mélange les vers à la prose, passe de la comédie à la pastorale et aborde des thèmes comme la foi et le désir de pureté. Voilà longtemps que nous voulions travailler ensemble. Nous avons manqué le faire ajoute Eric en jouant les rôles de deux hommes qui se découvrent frères dans Marion Delorme de Victor Hugo que devait mettre en scène Eric Vignier. Mes engagements à la Comédie Française nous en a empêché.  A ce propos Jean-Yves fait remarquer que Muriel Mayette, administratrice du Français, désirerait qu'il y réalise une mise en scène. Mais plutôt que de m'affronter à une pièce choisie par la maison, j'aimerais leur en proposer une . 

Pour ce qui est d'Eric, il apprécie grandement de jouer de temps à autre, comme il le fit en endossant le rôle d'Hippolyte dans la Phèdre mise en scène par Chereau, ailleurs que dans la maison de Molière.  C'est dit-il pour moi une façon de me ressourcer. Je reprendrai sans doute un jour ma propre troupe avec laquelle j'ai monté deux spectacles. Je continue par ailleurs à faire des décors. La saison prochaine j'en réaliserai un pour Denis Podalydès qui monte Fortunio de Messager, tiré du Chandelier de Musset, à l'opéra comique. Je reviens de ces aventures avec l'impression d'avoir changé. 

Les deux frères ne tarissent pas d'éloges sur André Markowicz, le traducteur de la pièce. Il a su aussi bien rendre la force comique mais aussi l'intensité des scènes dramatiques que l'impertinente liberté de plume de Shakespeare. A l'inverse d'autres traducteurs chevronnés, il ne craint pas d'affirmer que ce qui est obscur il faut le traduire obscurément. Il bosse à toute vitesse puis constate "là il y a un noeud" Ne reculant devant aucune difficulté, il s'attaque depuis quelques temps à La divine comédie de Dante.   

Pour ce qui est de ses distributions, Jean-Yves dit aimer mélanger les familles d'acteurs. Souvent raconte t-il je ne fais pas passer d'audition mais engage les comédiens après avoir bu un coup avec eux. Pour ce qui est des familles d'acteurs, l'expérience d'Eric est évidement toute autre. On appelle les comédiens du Français remarque t-il la famille des Atrides. Il suffit de voir combien d'entre eux ont fait bloc et se sont insurgés à l'idée d'aller à Bobigny pour constater que cette réputation est injustifiée. Les personnes qui aujourd'hui se refilent la patate chaude après avoir eu l'idée d'implanter le Français à Bobigny  méconnaissent le terrain contrairement à ceux qui l'arpentent depuis des années.  Hier matin encore, ajoute son frère, j'ai été parlé de Shakespeare à des élèves d'une école proche du théâtre qui, à quelques exceptions prés ne savaient pas de qui il s'agissait. Ils assisteront bien sûr à l'une des représentations. Comme la pièce parle de religion et de désir il y a quelque chance qu'elle les accroche.

Quand on leur demande si leurs parents ont des liens avec la scène, ils répondent que non mais Eric fait remarquer que leurs deux grands pères étaient pasteurs et avaient donc l'habitude de s'adresser à un auditoire. Comme leurs aïeux, ils ont donc un rapports à la parole qui à un effet tant sur leur carrière que sur leur vie.    

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