dimanche 20 novembre 2016

Les français d'après A la recherche du temps perdu de Marcel Proust

Nombreux sont les metteurs en scène qui tentent de faire vaciller les frontières entre littérature et théâtre. Krzystof Warlikowski part, lui, carrément à la recherche du temps perdu. Il en ramène quelques pépites mais souvent s'égare. Il a choisi de prendre dans chaque partie de cette oeuvre monumentale une scène clé ou qu'il considère telle. Comme il juge que Proust est essentiellement marqué par sa judéîté et son homosexualité, il insiste - parfois à gros traits - sur ces deux aspects de son univers. Au début il n'est question dans le monde des Guermantes que de l'affaire Dreyfus. Il est mal vu dans dans cette société antisémite que Charles Swann (l'alter ego de Proust) ait des sympathies dreyfusardes. Cette obsession du judaïsme, il ne semble pas qu'elle était partagée par l'écrivain bien qu'il côtoyait un monde que cette question agitait. Il apparaît en revanche, on le remarque dans nombre de ses créations, que cette question taraude avec raison Warlikowski qui, polonais, a grandi dans un monde hanté par les fantômes des trois millions de juifs assassinés.Les aristocrates ici croqués n'ont de cesse de s'enorgueillir de leur rang et se font une règle de ne pas saluer, Odette, épouse de Swann qui a vécu de galanteries. C'est dans le deuxième volet du spectacle qu'apparaît dans toute sa force la profondeur et l'esprit caustique de Proust. La société que fréquente Marcel, le narrateur, apparaît sous un jour plus affiné, ce qui ne veut pas dire plus aimable. Chacun se montre expert dans l'art de nouer et de dénouer des intrigues. Charlus, l'homosexuel érudit est mis sur la touche par les Verdurin dont l'ambition mondaine et la vulgarité sautent aux yeux. De son côté Swann parvenu à son zénith amoureux, prend conscience que celle pour qui il s'est démené n'est pas son genre... Le metteur en scène a visiblement eu plus de mal avec "Le temps retrouvé", par lequel Proust démarra son grand oeuvre. Les personnages plein de panache d'autrefois sont à présent cacochymes, frappés d'impotence et peu sensibles à la morsure du souvenir. Ce qui est, il faut bien l'admettre un cliché sur les années qui ont filées et nous ont flétris. Dans son film "Le temps retrouvé" Raul Ruiz avait avec infiniment plus de bonheur et d'invention montré que le temps retrouvé était celui qui nourrit nos rêves et nos pensées. On ne comprend pas davantage pourquoi Warlikowski fait débuter la dernière partie du spectacle par une lassante diatribe contre l'Europe. Les comédiens défendent, eux, tous vaillamment leur personnage. Dommage que les micro HF nous donnent trop souvent le sentiment de nous trouver dans une chambre d'échos. Les créations vidéos de Denis Guéguin nous mettent, en revanche, avec finesse en présence des obsessions de Proust.

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